L’oreille externe du groupe montréalais Braids
La longue gestation du nouvel album des Montréalais aura valu l’attente
La vie, parfois, nous fait nous sentir dans une file d’attente à deux mètres d’espacement – concrètement pour nombre d’entre nous, métaphoriquement pour le trio Braids. Voilà déjà cinq ans que les Montréalais n’avaient lancé d’album ; Shadow Offerings, son quatrième co-réalisé par l’exDeath Cab for Cutie Chris Walla, paraît enfin vendredi… un an et demi après avoir été enregistré. Pandémie ou pas, le voilà, puisqu’il le faut et qu’il nous fera du bien.
Shadow Offerings, un quatrième album aux allures de nouveau départ : après toutes ces années à se gérer euxmêmes, à autoproduire leurs albums — en commençant par l’excellent Native Speaker, retenu dans la courte liste du prix Polaris en 2011 — et EPs, le trio de musiciens originaires de Calgary a aujourd’hui décidé de s’entourer. D’une équipe de management, basée à Toronto et d’un label, Secret City (Patrick Watson, Basia Bulat, Klô Pelgag).
« Ouais, ça a été difficile de se réconcilier avec le fait que la parution devait attendre », reconnaît Rachelle StandellPreston, chanteuse et guitariste, là au bout du fil en compagnie du batteur Austin Tufts alors que le claviéristemulti-instrumentiste absent, Taylor Smith, continue de respecter la consigne de l’isolement volontaire. « Attendre, c’est probablement un des aspects que l’on aime le moins de l’industrie de la musique, ajoute Tufts. Être autoproducteur te permet de lancer ça rapidement, mais travailler avec un label, une gérance, pour mieux faire rayonner l’album, c’est accepter certains compromis, c’est accepter aussi de travailler à l’intérieur de leurs propres agendas… »
En plus d’une nouvelle équipe de production, Braids a, pour la première fois aussi, laissé entrer un élément extérieur dans leur studio, et pas n’importe qui. « Je me souviens, nous venions de donner un concert à Prague ; on réécoutait l’enregistrement, puisqu’on demande à nos sonorisateurs d’enregistrer toutes nos performances », explique le batteur Austin Tufts, « Et en écoutant les nouvelles compositions qu’on avait jouées, on s’est dit qu’on devrait essayer de capturer cette énergie de la scène en studio », d’où l’idée, pour la première fois, de faire appel à un réalisateur.
Une oreille externe les aidant à atteindre un niveau de chanson rock sophistiquée et méticuleuse, à donner un souffle à la présence du groupe en studio. « Auparavant, lorsqu’on enregistrait, nous portions à la fois les chapeaux d’interprètes et de techniciens du son. C’est plus difficile de se concentrer sur la musique lorsqu’il faut en même temps réfléchir à la meilleure manière de calibrer un microphone ou de se préoccuper du logiciel d’enregistrement ». D’où l’ex-Death Cab for Cutie, initialement convié à Montréal en tant qu’ingénieur-son :
Shadow Offerings Braids, Secret City Records, disponible le vendredi 19 juin. « Chris [Walla] est un type incroyable, un réalisateur incroyable et un ingénieur du son talentueux », assure Tufts.
Sa présence a cependant eu l’effet de rééquilibrer les forces vives en studio, ajoute le batteur : « Lorsqu’il s’est amené en studio, il nous est devenu clair que l’album allait avoir plus de vigueur. Il s’est impliqué sur le plan créatif, il nous a surtout permis de nous ouvrir l’esprit à de nouvelles idées qui ne nous étaient pas encore passées par la tête. Il a surtout permis de démêler un tas de noeuds qui s’étaient créés entre nous trois, depuis des années, libérant ainsi de nouvelles impulsions. En fait, tout l’enregistrement est même devenu plus agréable pour nous tous ! »
Rachelle échappe un rire : « C’est devenu une blague, on disait que Chris était en partie réalisateur, en partie thérapeute ! » On dirait même que ça s’entend : ça se dévoile à travers les neuf chansons de l’album une sorte de sérénité qui nous échappait sur les précédents enregistrements du groupe. De minutieux et perfectionniste, Braids a découvert comment laisser de l’espace aux notes dans les chansons, fusionnant avec plus de doigté et de polyvalence, avec un sens du groove décuplé, les ingrédients acoustiques, électriques et électroniques de leur indie rock.
Rachelle y chante avec une fougue renouvelée, comme si sa voix avait plus d’air à respirer. Elle offre aussi des mots qui frappent, ceux des puissantes Fear of Men « à propos de la violence conjugale et de ce que j’ai moi-même vécu » et Snow Angel, longue chanson de neuf minutes au passage quasi rappé qui aborde la question de la discrimination et du racisme systémique – rappelons que Braids avait terminé l’enregistrement de ce disque il y a dixhuit mois…
« On a composé cette chanson tout de suite après l’inauguration de Trump, donc à la fin de 2016, en s’imaginant comment nous allions vivre les quatre années suivantes, raconte Rachelle. Le racisme systémique prendra du temps avant d’être éradiqué. Notre communauté a beaucoup de travail à faire. J’apprécie de voir que le mouvement est en marche, de constater que les gens écoutent ce qui se passe, que de plus en plus de gens soient sensibles à ces injustices, j’y vois quelque chose de très positif. »