Et la réussite scolaire ?
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a présenté tout feu tout flamme son « plan de match » de la rentrée mardi à une population d’enseignants, de parents et d’élèves que la désorganisation des trois derniers mois a laissés souventes fois écorchés vifs et épuisés. L’enthousiasme bon enfant du ministre détonne, il faut l’avouer, avec le sentiment général : les troupes ont le caquet bas et rêvent d’un dirigeant solide aux commandes d’un réseau dont la première mission est de permettre l’apprentissage et de favoriser la réussite. Le porte-drapeau est enjoué, mais derrière lui les troupes ne serrent pas les rangs.
Ce programme de la rentrée comporte les essentiels dignes d’un bon mémo : présence obligatoire en septembre de tous les enfants ; maintien des enfants dans le même groupe classe dans les ratios habituels ; règles de distanciation variables selon qu’on est dans un sous-groupe, qu’on est le prof devant la classe ou qu’on est assis dans l’autobus ; possibilité de téléenseignement partiel pour les 4e et 5e secondaires, où les cours à option compliqueront la rentrée de septembre.
Ces balises techniques sont essentielles et constituent un préambule nécessaire pour rassurer la population volontaire quant à un retour à l’école si, et seulement si, un bon protocole sanitaire est déployé. Le ministre Roberge a raison de dire que l’expérience printanière du déconfinement scolaire hors Montréal a contribué à apaiser les inquiétudes.
Un bon aide-mémoire, donc, mais rien pour faire siffler le clairon de la fanfare. Il semble manquer à la discussion l’ingrédient essentiel d’une reprise digne de ce nom : et la réussite, pardi ? Les retards scolaires ? La motivation de tous ces élèves gagnés trop tôt par l’esprit des vacances ? Comment un réseau plombé en plein coeur par la gestion ca-ho-ti-que des premiers temps de la pandémie saura-t-il rattraper les retards immenses de nombreux élèves et tout mettre en oeuvre pour éviter le désenchantement scolaire ? Ces questions apparemment secondaires ne figuraient pas sur la partition.
L’obsession du ministère de l’Éducation doit demeurer la réussite des jeunes et son corollaire teinté de désolation, le décrochage. Partout, du secondaire à l’université, la pause forcée de la pandémie aura malheureusement laissé traîner la fâcheuse impression que l’éducation était facultative. Le brouillard des derniers mois dans la gestion du téléenseignement et l’absence de directives communes ont cristallisé pour plusieurs les germes d’un désabonnement à l’école. Ne vous étonnez pas de n’avoir pas lu ni entendu ces histoires. Elles ont le propre d’être vécues dans l’ombre, le silence et l’absence.
Dans un contexte où plusieurs experts ont souligné déjà les risques que le Québec connaisse en 2021 un important bond des taux de décrochage — déjà très élevés —, un plan de match de la rentrée doit donc comporter la mise en place de ressources de soutien additionnelles : orthopédagogues, orthophonistes, psychoéducateurs, psychologues. Il doit miser sur un ingrédient crucial de la réussite : la relation maître-élèves. Il s’agit d’une difficulté colossale, compte tenu du contexte de pénurie qui colore la planification de la rentrée. Certaines directions d’école ont déjà admis que la disponibilité des locaux et des enseignants — deux denrées rares — allait être un facteur déterminant dans la présence à temps plein ou partiel des élèves de 4e et de 5e secondaire. Dans ces années cruciales à haut risque pour le décrochage, le maintien du téléenseignement viendra diluer la réussite.
Critiqué pour une absence de leadership et des faux pas qui ont accéléré l’insatisfaction des troupes, le ministre de l’Éducation a concédé que « le réseau n’était pas prêt » au printemps. Il appelle donc à une préparation ficelée advenant une deuxième vague. Mais plutôt que de dévoiler les grandes lignes d’un protocole national, il s’en remet aux centres de services scolaires, à qui il commande la préparation d’une batterie de mesures : un plan de formation à distance digne de ce nom, le déploiement rapide de tablettes et d’ordinateurs, l’organisation de ressources numériques et un processus de reddition de comptes. Nous aurons du temps, affirme-t-il, retournant aux gestionnaires d’éducation déjà sur les rotules la responsabilité de… tenir les rênes du ministère.
L’obsession du ministère de l’Éducation doit demeurer la réussite des jeunes et son corollaire teinté de désolation, le décrochage