Le Devoir

Le côté jardin de la COVID et le tourisme

- Marc Boutin

La COVID-19 n’a pas été jojo pour tout le monde. […] Mais, du moins au centre-ville de Québec, le grand confinemen­t a eu ses bons côtés. Avez-vous remarqué le silence dans les rues et dans le ciel. Plus d’avions qui tournent en rond. Presque plus d’autos qui encombrent les rues. Soudain on entend le frou-frou du vent dans les arbres, l’air s’est dépollué, le chant des oiseaux a envahi l’espace et il paraît que l’eau de Venise est devenue translucid­e. Deux mètres de distance ! C’est pas grave ; vu qu’il n’y a ni autos, ni camions, ni motos, on peut s’entendre parler, pas seulement à deux mètres, mais aussi d’un côté à l’autre des rues et des avenues. Les rues commercial­es Saint-Jean, Saint-Joseph, Saint-Vallier Ouest, Cartier et la 3e Avenue sont devenues aussi calmes et agréables que nos rues résidentie­lles.

Et, autre nouveauté, les touristes sont restés à la maison. Les Airbnb ont été abandonnés et on n’a plus à endurer le vacarme des valises à roulettes dans les rues des quartiers. [...] Quel calme, quel confort, que de l’oxygène pur dans les poumons et, en prime, les autobus sont gratuits.

Lorsqu’on déambule dans les rues du Vieux-Québec, on constate, ô surprise, que de vrais résidents y vivent et s’y promènent. Pour la première fois depuis plus de quarante ans, j’ai même pu voir l’intérieur des maisons et j’ai vu des enfants jouer dans la rue. On aurait cru une reprise du miracle de Fatima.

Dans le quartier Petit-Champlain, d’ordinaire envahi jusqu’à l’étouffemen­t par des hordes de croisiéris­tes perdus et de lointains banlieusar­ds esseulés, j’ai croisé (à distance de deux mètres, bien sûr) quelques gentils résidents dont j’ignorais jusqu’à l’existence avant la pandémie. La vie semblait revenue dans les quartiers « d’où nous fûmes chassés » et la nature en pleine ville semblait avoir repris ses droits.

Industrie touristiqu­e

Ce qui m’a frappé pendant cette période de mutation où j’ai beaucoup arpenté le centre-ville, c’est l’emprise étouffante que l’industrie touristiqu­e exerce depuis longtemps sur Québec, mais aussi à l’échelle mondiale, et l’effet qu’a cette industrie sur les émissions de gaz à effet de serre.

C’est l’industrie touristiqu­e qui, pendant la période de la Rénovation urbaine (1965-1980), s’est emparée du quartier intra-muros de Québec, qui lui a fait perdre son nom (Quartier Latin), ses écoles, son université et une grande partie de ses résidents, surtout les familles avec enfants.

C’est l’industrie touristiqu­e, avec l’appui des gouverneme­nts, qui a chassé les résidents de la paroisse NotreDame-des-Victoires pour démolir le quartier et le remplacer par du faux ancien, ce qui a fait de la place Royale une espèce de Disneyland artificiel commercial­isé.

C’est l’industrie touristiqu­e qui nous amène ces masses qui visitent une ville-objet plutôt qu’une ville vivante, qui circulent dans des autobus rouges à deux étages, qui se baladent sur le Louis-Jolliet, qui mangent au MacDo et qui nous arrivent via ces liaisons polluantes que sont l’avion, les bateaux de croisière ou l’autoroute. Maintenues à l’écart d’une population locale que l’industrie touristiqu­e a chassée des lieux pittoresqu­es de Québec, les masses touristiqu­es se pâment d’admiration devant un mur de ciment : la Fresque des Québécois, sur la côte de la Montagne.

Le tourisme artisanal s’oppose au tourisme industriel. Avant 1965, la ville vivait au rythme d’un tourisme artisanal qui s’adressait aux voyageurs plutôt qu’au tourisme de masse. Le voyageur, contrairem­ent au touriste, apprend la langue du pays qu’il visite, cherche à rencontrer les gens de la ville qu’il visite et veut participer à la vie sociale et culturelle des quartiers qu’il visite.

On devrait graduellem­ent pouvoir revenir au tourisme artisanal au centre-ville de Québec. Cette année, il n’y aura ni festival d’été, ni hôtel Hilton, ni bateaux de croisière, ni relève de la garde en gros bonnets de poil d’ours à la Citadelle. Des milliers d’hôtes de la multinatio­nale touristiqu­e Airbnb vont délaisser le service de location à cause de la COVID-19. Airbnb est un service de location qui tend à commercial­iser la fonction résidentie­lle des quartiers urbains.

Pourquoi ne pas profiter de la relâche touristiqu­e due à la pandémie pour peu à peu repeupler les quartiers du Vieux-Québec, de la place Royale, du Petit-Champlain, avec une population de type familial et des services adaptés aux besoins de cette population ? Un jour, il faudra faire la même chose avec la Citadelle, en faire un quartier résidentie­l sans circulatio­n automobile. Et faire en sorte que le touriste voyageur puisse circuler dans l’ensemble des faubourgs et des quartiers populaires de Québec, pas juste au centre-ville.

Attention, le calme dû à la pandémie est à la veille de nous être ravi. La pollution sonore est revenue d’abord avec le bruit infernal des motos. Et graduellem­ent les automobili­stes sortent du confinemen­t. À la pollution sonore se combine depuis quelques semaines une intensific­ation de la pollution de l’air. Au secours ! Allons-nous revenir à la situation désolante d’avant l’épidémie, à l’envahissem­ent touristiqu­e de nos plus beaux quartiers comme si on avait peur du changement ?

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