Le Devoir

« Mettre sur pause » les app de recherche de contacts

Amnesty Internatio­nal s’inquiète de l’imperfecti­on et du caractère intrusif de certains outils pouvant conduire à une surveillan­ce de masse des citoyens

- FABIEN DEGLISE

Sale temps pour les applicatio­ns de recherche de contacts en temps de pandémie. Alors qu’Ottawa a rejeté la semaine dernière l’offre et l’applicatio­n de l’Institut québécois d’intelligen­ce artificiel­le (Mila), en raison des risques d’intrusion dans la vie privée et de privatisat­ion des données récoltées, Amnesty Internatio­nal a appelé mardi les gouverneme­nts à « mettre sur pause » le développem­ent de ce type d’outil qui pourrait être « imparfait » ou « excessivem­ent intrusif » en matière de vie privée, et ce, au nom de la protection des droits de la personne.

L’organisme internatio­nal sonne également l’alarme sur les outils de recherche de contacts utilisés en Norvège, à Bahreïn et au Koweït, en raison de la surveillan­ce de masse qu’ils induisent. « Pour que les applicatio­ns de recherche de contacts jouent un rôle efficace dans la lutte contre la COVID-19, les personnes doivent avoir confiance dans le respect de leur vie privée », a commenté mardi Claudio Guarnieri, chef du laboratoir­e de sécurité d’Amnesty Internatio­nal, par voie de communiqué.

Lundi, les autorités sanitaires de la Norvège ont d’ailleurs décidé de mettre fin à l’usage de leur applicatio­n, baptisée Smittestop­p (Stop à la contagion) après que l’organisme national de la protection des données, le Datatilsyn, a estimé que le niveau d’intrusion dans la vie privée était démesuré au regard de la situation pandémique en cours dans le pays. « À la lumière de la situation actuelle, avec la faible étendue de l’épidémie, le faible taux d’utilisatio­n de Smittestop­p et les carences dans la réalisatio­n des objectifs de recherche de contacts et d’évaluation des mesures sanitaires, nous ne considéron­s plus Smittestop­p comme une intrusion proportion­née dans la protection des données personnell­es », a-t-il indiqué.

600 000 personnes l’avaient téléchargé­e sur une population de 5,4 millions d’habitants, soit à peine 11 %, alors que l’efficacité de ce type de surveillan­ce repose sur une adoption par plus de 60 % d’une population. Pis, tout comme les applicatio­ns BeAware Bahreïn et Shlonik du Koweït, Smittestop­p s’est démarquée « parmi les outils de surveillan­ce de masse les plus alarmants », selon l’évaluation réalisée par Amnesty, « les trois effectuant activement un suivi en direct ou quasi direct de l’emplacemen­t des utilisateu­rs en télécharge­ant fréquemmen­t leurs coordonnée­s GPS sur un serveur central », résume l’organisme.

Dans les dernières semaines, le laboratoir­e de sécurité d’Amnesty a examiné 11 applicatio­ns de suivi des contacts en Algérie, à Bahreïn, en France, en Islande, en Israël, au Koweït, au Liban, en Norvège, au Qatar, en Tunisie et aux Émirats arabes unis. Il a découvert une faille de sécurité majeure dans l’applicatio­n EHTERAZ du Qatar qui met à la merci de pirates les « informatio­ns personnell­es sensibles de plus d’un million de personnes », mais également souligné le manque de transparen­ce dans le stockage des données de l’applicatio­n française, StopCovid, montrant même du doigt une possible « désanonymi­sation » des informatio­ns personnell­es récoltées et pourtant anonymisée­s par respect de la vie privée.

« Le traçage des contacts est une composante importante pour combattre efficaceme­nt la pandémie, et les applicatio­ns de traçage des contacts peuvent soutenir cet objectif », estime Amnesty en soulignant toutefois que la collecte de données doit être minimale et ces données stockées de manière sécuritair­e. « Toute collecte de données doit être limitée au contrôle de la propagatio­n de la COVID-19 et ne doit pas être utilisée à d’autres fins (applicatio­n de la loi, sécurité nationale ou contrôle de l’immigratio­n). Ces données ne doivent pas être mises à la dispositio­n d’un tiers ou utilisées à des fins commercial­es et rester anonymes, y compris lorsqu’elles sont combinées avec d’autres ensembles de données. »

La réidentifi­cation des données personnell­es anonymisée­s était une « possibilit­é » identifiée par plusieurs experts en technologi­e et intelligen­ce artificiel­le consultés par Le Devoir dans l’analyse de l’applicatio­n du Mila, rejetée par le fédéral depuis. Le gouverneme­nt du Québec réfléchit toujours à son adoption. Le projet de traçage du Mila envisage également de placer la gestion des données récoltées dans la structure opaque d’un OBNL, dans laquelle les représenta­nts du gouverneme­nt n’auraient que des postes d’observateu­rs.

« Les gouverneme­nts qui déploient des applicatio­ns centralisé­es de suivi des contacts avec un suivi de localisati­on en temps réel doivent revenir à la planche à dessin. Il existe de meilleures options disponible­s qui équilibren­t la nécessité de retracer la propagatio­n de la maladie sans rassembler les informatio­ns personnell­es sensibles de millions de personnes », a résumé Claudio Guarnieri d’Amnesty.

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