Le Devoir

La Chine et l’Inde se déchirent au Ladakh

Vingt soldats indiens ont péri dans une confrontat­ion entre les deux géants asiatiques sur la frontière très disputée

- ALEXANDRE MARCHAND À NEW DELHI AGENCE FRANCE-PRESSE

Vingt soldats indiens ont péri dans une confrontat­ion avec l’armée chinoise dans la nuit de lundi à mardi sur la frontière disputée au Ladakh, dans le nord de l’Inde, premier accrochage militaire meurtrier en 45 ans entre les deux géants asiatiques. L’armée indienne a d’abord annoncé mardi la mort d’un officier et de deux soldats, évoquant des morts « des deux côtés ». En soirée, elle a fait état de 17 autres « grièvement blessés au champ d’honneur » qui avaient « succombé à leurs blessures ». La Chine a, elle, évoqué des « morts et blessés », sans toutefois préciser dans quel camp, et accusé l’Inde d’être responsabl­e de l’incident.

Le ministère indien des Affaires étrangères a répliqué par la voix de son porte-parole, Anurag Srivastava, attribuant la responsabi­lité de l’affronteme­nt à la Chine à travers « une tentative de changer unilatéral­ement le statu quo » à la frontière. Un militaire indien basé dans la région a assuré à l’AFP qu’il n’y avait pas eu d’échange de tirs. « Aucune arme à feu n’a été utilisée. Il y a eu de violents corps-àcorps », a déclaré cette source qui a requis l’anonymat, car elle n’est pas autorisée à parler à la presse.

Des troupes des deux puissances nucléaires ont été engagées depuis début mai dans plusieurs face-à-face tendus le long de leur frontière commune, principale­ment au Ladakh, et ont acheminé des milliers de soldats en renforts. Une crise que les parties affirment cependant vouloir résoudre par la voie diplomatiq­ue.

À la suite de pourparler­s entre des généraux des deux armées il y a une dizaine de jours, un processus de désengagem­ent militaire avait été enclenché dans certaines des zones disputées de la région en haute altitude du Ladakh. « Durant le processus de désescalad­e en cours dans la vallée de Galwan, une confrontat­ion violente s’est produite la nuit dernière et a fait des victimes des deux côtés », a déclaré mardi un porteparol­e de l’armée indienne.

Pour sa part, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a accusé les troupes indiennes d’avoir « franchi la frontière à deux reprises, avant de se livrer à des activités illégales et de provoquer et d’attaquer des soldats chinois, avec pour résultat une grave confrontat­ion physique ». Un porte-parole de l’armée chinoise, Zhang Shuili, a ajouté dans un communiqué publié par le ministère de la Défense que l’incident a entraîné des « morts et blessés ». Il n’a précisé ni leur nombre ni leur nationalit­é.

Craintes d’escalade

La dernière altercatio­n meurtrière entre militaires indiens et chinois datait de 1975, lorsque quatre soldats indiens avaient perdu la vie en Arunachal Pradesh (Est). Aucune balle n’a été tirée au-dessus de la frontière indochinoi­se depuis. De hauts gradés des deux bords s’entretienn­ent actuelleme­nt sur place pour désamorcer la situation, selon le communiqué de l’armée indienne.

À New York, une porte-parole de l’ONU a fait part de la préoccupat­ion de l’Organisati­on. « Nous exhortons les deux parties à observer le maximum de retenue », a déclaré aux médias Eri Kaneko, en se félicitant des informatio­ns faisant état d’un engagement des deux pays à calmer la situation.

Début mai, des affronteme­nts à coups de poing, de pierres et de bâtons avaient notamment opposé des militaires des deux pays dans la région du Sikkim (est de l’Inde), faisant plusieurs blessés. Les troupes chinoises avaient aussi avancé dans des zones considérée­s par l’Inde comme situées sur son territoire au Ladakh, poussant New Delhi à dépêcher des renforts dans la région.

Si la situation « n’est pas correcteme­nt gérée, cela pourrait dégénérer en quelque chose de beaucoup plus gros que ce que nous imaginions au départ », a déclaré à l’AFP Harsh V Pant, analyste à l’Observer Research Foundation de New Delhi. « La Chine, avec ses meilleures infrastruc­tures, ses capacités militaires supérieure­s, pense peut-être que c’est le moment de pousser l’Inde, pour voir jusqu’où ira l’Inde », a-t-il avancé.

L’Inde et la Chine ont plusieurs litiges territoria­ux de longue date, dans les secteurs du Ladakh et de l’Arunachal Pradesh. Les confrontat­ions dans des zones montagneus­es entre armées indienne et chinoise sont devenues plus fréquentes ces dernières années, ce que le gouverneme­nt Trump interprète comme le signe d’une agressivit­é chinoise croissante en Asie.

En 2017, soldats indiens et chinois ont passé plus de deux mois à se faire face sur un plateau himalayen stratégiqu­e dans la région du Bhoutan. Des pourparler­s avaient mené à un désengagem­ent militaire des deux parties. Le dernier conflit ouvert entre les deux nations les plus peuplées de la planète remonte à la guerre éclair de 1962, qui avait vu les troupes indiennes rapidement défaites par l’armée chinoise.

La Chine, avec ses meilleures infrastruc­tures, ses capacités militaires supérieure­s, pense peut-être que c’est le moment de pousser l’Inde, pour voir jusqu’où ira l’Inde » HARSH V PANT

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MANISH SWARUP ASSOCIATED PRESS Cette altercatio­n dans la région montagneus­e du nord de l’Inde constitue le premier accrochage militaire meurtrier en 45 ans entre les deux géants asiatiques.

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