Le Devoir

Les disparités entre riches et pauvres devant l’inflation

Le contexte actuel ne fera rien pour arranger les choses

- III ÉTUDE ÉRIC DESROSIERS

Riches et pauvres ne sont pas égaux devant l’inflation.

Les prix des biens et services consommés par les ménages les plus modestes ont augmenté plus vite au cours des 20 dernières années au Québec que ceux des ménages les plus aisés, rapporte une étude dévoilée ce mercredi par l’Institut de recherche et d’informatio­ns socio-économique­s (IRIS).

L’augmentati­on du coût de la vie auquel ont été confrontés les ménages de deux personnes ou plus de 1999 à 2019 a été de 29,7 % pour le cinquième le plus pauvre et de 30,2 % pour le quintile suivant contre seulement 24,8 % pour les ménages appartenan­t au groupe du cinquième des plus riches et 23,6 % pour les 10 % des plus aisés.

Cet écart d’inflation de 5 à plus 6 points de pourcentag­e entre les 40 % des familles les plus pauvres et les plus riches tient au fait que les deux groupes ne consomment pas les mêmes choses et que les prix des uns ont plus augmenté que les prix des autres, explique l’IRIS.

C’est le cas notamment des dépenses alimentair­es dont les prix ont augmenté de 63 % en 20 ans et qui accaparent, en moyenne, 17 % de l’ensemble des dépenses des plus pauvres contre seulement 12,5 % pour les plus riches.

Le même phénomène s’est produit aussi, mais à l’envers, pour les loisirs dont les prix n’ont pas augmenté, mais reculé de 3,4 % depuis 20 ans, au plus grand bonheur des plus riches qui y consacrent de 7,7 % à 8,2 % de leurs dépenses comparativ­ement à seulement 4,9 % pour les plus pauvres.

Une imprécisio­n lourde de conséquenc­es

Ces écarts sont complèteme­nt gommés dans les statistiqu­es habituelle­s sur l’évolution de l’indice des prix à la consommati­on (IPC), a observé en enrapporte tretien téléphoniq­ue au Devoir Minh Nguyen, chercheur associé à l’IRIS et coauteur de l’étude, avec Pierre-Antoine Harvey.

C’est un problème parce que cela empêche de voir un creusement des inégalités entre riches et pauvres, mais pas seulement, dit le politologu­e. L’IPC sert souvent de base de calcul ou de justificat­ion dans la fixation de toutes sortes de choses dont dépendent directemen­t les ménages de revenus modestes, comme le salaire minimum et le montant de certains transferts sociaux. « Si on sous-estime la hausse du coût de la vie à laquelle ils font face, ils se retrouvent ainsi doublement pénalisés. »

Les différence­s dans la compositio­n des paniers de consommati­on entre riches et pauvres ne sont pas le seul angle mort sur la réalité que vivent ces derniers, rapporte l’étude de l’IRIS. Cherchant à refléter aussi fidèlement que possible l’évolution des habitudes de consommati­on des Canadiens, Statistiqu­e Canada ajuste périodique­ment ce qu’elle met dans le panier de biens et services dont elle le prix chaque mois, changeant, par exemple, le poids relatif accordé aux coûts d’une ligne téléphoniq­ue fixe et d’un service de téléphonie mobile, ou tenant compte non seulement des prix affichés sur la rue principale, mais aussi dans le commerce électroniq­ue.

Or, contrairem­ent aux plus riches, les ménages les plus pauvres semblent ajuster leurs préférence­s en matière de biens et services en fonction, notamment, de l’évolution de leurs prix, substituan­t ceux dont le coût augmente le plus vite par d’autres aux prix plus stables ou déclinants.

« Cela peut être aussi une forme d’appauvriss­ement qui n’est pas détectée, note Minh Nguyen. Il est peu probable, par exemple, que la diminution du poids relatif des dépenses alimentair­es dans le budget de ces familles soit parce qu’elles choisissen­t soudaineme­nt de moins manger. On peut croire, plutôt, que l’augmentati­on des prix de l’alimentati­on va forcer, par exemple, des gens à acheter moins de viande et à manger plus de pâtes. »

Un effet COVID-19

Le contexte actuel ne fera rien pour arranger les choses, a observé mardi dans un communiqué l’autre coauteur de l’étude de l’IRIS, Pierre-Antoine Harvey. « L’explosion des coûts des aliments prévue dans les prochains mois à cause de la crise liée à la COVID-19 risque d’affecter grandement les familles les plus pauvres. »

Les deux chercheurs n’en concluent pas que les mesures habituelle­s de l’inflation au Canada et au Québec sont incorrecte­s, mais plutôt incomplète­s. Les gouverneme­nts devraient, selon eux, tenir compte du fait que l’augmentati­on des prix se révèle plus forte pour les ménages les plus modestes dans le calcul des mesures qui leur sont destinés, comme le Crédit de solidarité. À l’opposé, ils pourraient aussi prendre en compte l’inflation moins élevée dont profitent les plus riches dans la fixation de leur dernier palier d’imposition.

Les différence­s dans la compositio­n des paniers de consommati­on ne sont pas le seul angle mort sur la réalité que vivent les gens moins aisés, rapporte l’étude de l’IRIS.

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