Le Devoir

Enquête publique sur les décès dans les CHSLD publics et privés

Des proches de victimes saluent l’annonce d’une enquête publique pour élucider les problèmes qui auraient pu être évités dans les résidences

- MARCO BÉLAIR-CIRINO AMÉLI PINEDA MYLÈNE CRÊTE

« Les résidents des milieux d’hébergemen­t ne méritaient pas de mourir et surtout pas dans ces conditions-là », a lancé Anne Kettenbeil, mercredi aprèsmidi, après avoir pris connaissan­ce de la décision de la coroner en chef de mener une vaste enquête publique sur des décès survenus durant la pandémie. « Les CHSLD publics, comme privés, n’ont jamais été protégés suffisamme­nt », a-t-elle poursuivi. Sa conjointe, Solange Arsenault, est décédée des suites de la COVID-19 le 28 mars dernier.

Mme Kettenbeil avait été témoin de l’émergence d’un foyer d’éclosion au pavillon Alfred-Desrochers de l’Institut de gériatrie de Montréal. Au chevet de sa conjointe, qui n’avait pas encore reçu son diagnostic de la COVID-19, elle avait rapidement constaté le manque d’équipement et de préparatio­n pour faire face à la pandémie. « Il y a eu de la négligence, mais pas sur le terrain. Les préposées, les infirmière­s et les chefs d’unités ont essayé de faire ce qu’ils pouvaient. La négligence vient de plus haut, de ceux qui devaient prendre des décisions et qui n’ont pas priorisé les milieux d’hébergemen­t et il est important de faire la lumière làdessus », estime-t-elle.

De nombreuses familles québécoise­s sont dans l’attente de réponses quant aux dernières heures de vie de leur proche, souligne le président du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet. « La COVID-19 a eu le dos large. Des centaines de personnes sont décédées isolées sans que leur famille puisse les voir une dernière fois et sans qu’elles puissent s’assurer qu’elles ont eu les soins appropriés », a-t-il fait remarquer.

Aux yeux de M. Brunet, il faudra reconstitu­er le fil des événements afin de repérer les manquement­s, surtout sachant qu’une deuxième vague est attendue. « Il faut que ça se fasse vite, parce que si ça prend un an avoir le rapport, ça ne permettra pas de corriger la situation rapidement pour éviter d’autres décès », a-t-il fait valoir.

« Histoire triste »

La ministre responsabl­e des Aînés, Marguerite Blais, a repoussé mercredi les accusation­s de négligence lancées contre le gouverneme­nt caquiste durant la crise sanitaire. « Le gouverneme­nt du Québec a fait son possible face à une pandémie mondiale », a-t-elle dit mercredi après-midi. « Il n’y a pas un gouverneme­nt qui veut maltraiter les personnes âgées. […] C’est une histoire triste. On a perdu beaucoup de personnes vulnérable­s au Québec. Et, on ne veut pas répéter cette histoire », a-t-elle ajouté, tout en rappelant l’existence la Loi visant à lutter contre la maltraitan­ce envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabil­ité.

À ceux qui imputent à l’État une certaine responsabi­lité dans la propagatio­n du coronaviru­s à l’intérieur des milieux de vie pour aînés, Mme Blais a répondu : « On ne savait pas que les personnes asymptomat­iques pouvaient être porteuses du virus ! »

La coroner en chef du Québec, Me Pascale Descary, avait ordonné quelques minutes plus tôt la tenue d’une « vaste enquête publique sur certains décès » survenus « dans un contexte de pandémie » dans les milieux d’hébergemen­t pour les personnes âgées, vulnérable­s ou en perte d’autonomie.

« Pour nous, la cause du décès est un peu accessoire. Elle est facile à identifier. Mais, ce sur quoi on va s’attarder, c’est les circonstan­ces de ces décès. Qu’est-ce qui aurait pu être évité ?

Qu’est-ce qui a préparé le terrain pour qu’on en arrive à un tel constat si malheureux. On veut comprendre ce qui s’est passé pour améliorer les choses et éviter que ça se reproduise », a-t-elle expliqué dans un entretien avec Le Devoir. Pour s’en assurer, le Bureau du coroner formulera « des recommanda­tions, pour modifier des façons de faire, des lois, des règlements, des approches, des structures… »

L’enquête publique sera présidée par l’avocate Géhane Kamel, qui est déjà à pied d’oeuvre au CHSLD privé Herron à Dorval où des employés infectés, ou craignant d’être infectés, à la COVID-19 avaient laissé des résidents à eux-mêmes dans des conditions déplorable­s.

La crise, « ça ne touchait pas qu’une seule résidence, mais bien plusieurs résidences pour aînés », a fait valoir Me Descary, ajoutant qu’« il était essentiel de [mettre en branle] une enquête publique considéran­t l’ampleur de la crise ».

Me Kamel et le Dr Jacques Ramsay, qui lui prêtera main-forte, tireront au clair les circonstan­ces d’autres décès survenus entre le 12 mars et le 1er mai — soit « avant qu’il y ait une certaine organisati­on » — et qui ont fait l’objet d’un « signalemen­t » puisqu’ils revêtaient un « caractère violent, obscur ou parce qu’il est possibleme­nt lié à de la négligence ». « Il y aura un échantillo­nnage de certains décès survenus dans certains types de résidences et dans certaines régions du Québec pour avoir un portrait représenta­tif de la crise à l’échelle du Québec », a résumé Me Descary.

Les coroners mèneront leur enquête dans une « grande transparen­ce » ce qui permettra, selon elle, aux « débats [de] se faire de façon très très ouverte ».

« Totale collaborat­ion »

Le gouverneme­nt Legault offrira sa pleine collaborat­ion à l’enquête publique sur les morts liées à la COVID-19 dans les CHSLD, a promis Mme Blais. « On va collaborer entièremen­t pour que toute la lumière soit faite. […] On ne veut pas revivre ce que nous avons vécu », a-t-elle affirmé, avant la séance hebdomadai­re du Conseil des ministres.

L’élue caquiste a aussi promis de « faire tout en [son] possible » pour mettre en oeuvre toutes les recommanda­tions faites par la coroner Géhane Kamel au terme de son enquête. « Quand on me fait des recommanda­tions, je les suis. »

Le gouverneme­nt ne renonce pas à l’idée de tenir une commission scientifiq­ue et technique sur la situation des CHSLD durant la pandémie. « Le gouverneme­nt n’exclut rien. […] Tout est sur la table », s’est contentée de dire Mme Blais.

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