À quelle femme Joe Biden liera-t-il son avenir politique ?
Le choix de Joe Biden pour former le ticket démocrate en vue de la présidentielle de novembre sera teinté par la crise sanitaire et les revendications des Afro-Américains
La liste des colistières potentielles de Joe Biden en vue de la présidentielle de novembre prochain continue de diminuer à l’approche d’une décision qui devrait être prise dans six semaines. Le candidat démocrate a annoncé qu’il choisira une femme peu avant le début de la pandémie de COVID-19, qui frappe durement les États-Unis depuis trois mois.
Or, ce choix risque désormais d’être teinté par la gestion erratique de la crise sanitaire par l’actuel président, dont les conséquences sont tragiques au sein de la communauté noire, mais également par les mouvements de revendication des Afro-Américains, qui ont repris de l’ampleur après la mort tragique de George Floyd, tué par des policiers blancs en mai dernier.
Dans ce contexte, qui pourrait devenir la prochaine vice-présidente des États-Unis, advenant une victoire des démocrates ?
Kamala Harris, 55 ans
Son nom arrive depuis des mois au sommet de la liste, et pour cause. C’est que la sénatrice de la Californie ne manque pas d’atouts, en raison de son âge et de ses origines métissées : sa mère, une cancérologue réputée, est d’origine indienne. Son père, professeur d’économie à l’Université de Stanford, est venu de la Jamaïque dans les années 1960. « L’âge de Biden fait en sorte qu’il doit choisir quelqu’un de prêt à prendre le relais à tout moment, et donc plus jeune que lui », explique Karine Prémont, professeure de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke. L’ancien vice-président américain a 77 ans. « L’expérience de la candidate à un poste électif de même qu’une certaine renommée nationale seront aussi des critères de sélection. »
Mme Harris possède cette expérience, grâce à ses années de service comme sénatrice, mais également grâce à un passage remarqué dans la course à l’investiture démocrate. Elle a abandonné avant le début des primaires.
« Elle a également gagné l’estime de beaucoup de personnes comme procureure générale de la Californie, de 2007 à 2011 », explique Nazita Lajevardi, professeure de science politique à l’Université d’État du Michigan. Cela dit, elle pourrait également prêter flanc à la critique en raison de quelques décisions controversées : elle ne s’est jamais opposée à la peine de mort durant ses mandats, elle a soutenu la criminalisation du cannabis et a empêché l’utilisation de la caméra corporelle sur les policiers de la Californie pour réduire la violence policière. Entre autres choses.
Elizabeth Warren, 70 ans
Les astres étaient bien alignés pour la sénatrice du Massachusetts, qui a fait avancer les idées progressistes au sein du Parti démocrate au commencement des primaires et qui jouit d’assises solides au sein de l’électorat ouvrier. Les réformes et les programmes économiques qu’elle a contribué à mettre en place pour aider cette frange d’électeurs — cruciale pour remporter la présidentielle — à surmonter la crise économique de 2008 en sont une des raisons. Or, la flambée de contestation des dernières semaines, sur fond de tensions raciales, nuit désormais à ses chances d’accompagner Joe Biden dans la lutte électorale à venir.
« Elle a tout pour rallier les plus à gauche du parti, dit Karine Prémont, mais son statut de septuagénaire blanche la défavorise. Les manifestations qui ont éclaté un peu partout aux États-Unis contre la brutalité policière à l’égard des Afro-Américains font pencher la balance très fortement vers une Afro-Américaine. »
En avril dernier, 36 % des électeurs démocrates ont indiqué vouloir une femme noire à la vice-présidence éventuelle des États-Unis, sous pavillon démocrate. Mais, paradoxalement, Elizabeth Warren serait plus capable de rallier l’électorat afro-américain et latino que Kamala Harris, selon une enquête d’opinion menée fin mai par Morning Consult pour Politico. « Biden a besoin de consolider ce vote qu’il semble tenir pour acquis » depuis le début de la campagne, ajoute M. Prémont.
Mme Warren compte également des appuis importants auprès des électeurs blancs et noirs du Wisconsin et du Michigan, deux champs de bataille électoraux déterminants en novembre prochain.
Val Demings, 63 ans
Représentante de la Floride à Washington depuis 2017, cette ex-cheffe de la police d’Orlando a vu son étoile monter rapidement au sein du comité de sélection des démocrates à la faveur des tensions raciales des dernières semaines. « Elle fait partie des favorites, dit Mme Prémont, et a profité d’une grande visibilité après avoir dénoncé la brutalité policière. Habituellement, le colistier ou la colistière provient d’un État crucial que le candidat présidentiel cherche à gagner. » La Floride, que les démocrates pourraient remporter en 2020, en fait partie.
Sauf que Mme Demings ne profite pas d’une forte présence médiatique nationale, ce qui pourrait jouer contre elle. « C’est une candidate junior, qui n’a pas l’expérience suffisante pour assumer la direction du pays s’il arrivait quelque chose à Joe Biden, dit Nazita Lajevardi. Dans les circonstances, elle reste un choix politique risqué qui pourrait coûter la présidence à Biden.
Kamala Harris, 55 ans, arrive depuis des mois au sommet de la liste, et pour cause. C’est que la sénatrice de la Californie ne manque pas d’atouts, en raison de son âge et de ses origines métissées.
Susan Rice, 56 ans
Elle a l’âge qu’il faut, est issue de la communauté afro-américaine et trônerait, dit-on, dans le petit groupe des trois favorites du comité de sélection de la vice-présidence, aux côtés de Kamala Harris et d’Elizabeth Warren. Parmi ses points forts, Mme Rice est une proche de Barack Obama, pour qui elle fut conseillère à la sécurité nationale entre 2013 et 2017, en plus d’avoir occupé le poste d’ambassadrice des États-Unis à l’ONU entre 2009 et 2013. Mais elle n’a jamais occupé un poste électif, et « ne peut donc pas apporter un État à Joe Biden, dit Mme Prémont. Qui plus est, son expertise en politique étrangère uniquement ne va pas lui permettre d’être complémentaire à M. Biden. »
Mme Rice était également en fonction lors des attaques de Benghazi, en Libye, en 2012. Ce double attentat par des militants islamistes avait entraîné la mort de l’ambassadeur américain. Des accusations de négligence avaient fragilisé le gouvernement Obama à l’époque et entaché la réputation de Mme Rice. « Ce que les républicains ne vont pas manquer de rappeler », dit Mme Prémont, si elle est choisie.
Stacey Abrams, 46 ans
Elle a convoité le poste de gouverneur de la Géorgie pour les démocrates, mais ne l’a pas décroché. Militante audible pour l’accès au vote des minorités, un enjeu de taille pour des milliers d’Afro-Américains exclus de manière systémique des processus électoraux, Mme Abrams a activement revendiqué le poste de colistière. Ce que plusieurs démocrates lui ont reproché. « C’est une candidature très viable, dit Mme Lajevardi. Elle est progressiste, se bat depuis des années pour l’égalité, mais elle semble négligée dans les discussions en cours sur le ticket démocrate. » Tellement que son nom aurait été retiré la semaine dernière de la liste des candidates potentielles. « L’entourage de Joe Biden ne l’aurait toujours pas contactée, indique Mme Prémont. Ce qui n’est pas de bon augure. »
Amy Klobuchar, 60 ans
C’était bien parti pour la sénatrice du Minnesota et ex-candidate à l’investiture démocrate, perçue comme un atout de taille pour former le prochain ticket démocrate. Mais tout vient de basculer, réduisant ses chances d’atteindre la vice-présidence à néant. Et pas seulement du fait de son appartenance à l’Amérique blanche. « Elle n’est plus dans la course en raison de son passé comme procureure générale », croit Nazita Lajevardi, qui rappelle ses décisions de ne pas poursuivre à une autre époque des policiers blancs responsables d’une bavure ayant coûté la vie à un citoyen noir. « Personne ne va accepter une telle candidature, particulièrement cette année », ajoute-t-elle.
Et les autres
La gouverneure du Nouveau-Mexique, Michelle Lujan Grisham, 60 ans, pourrait créer la surprise en devenant la première Hispano-Américaine à obtenir le poste. Sa gestion efficace de la crise de la COVID-19 dans son État est un atout. Mais cela sera-t-il suffisant ? La mairesse d’Atlanta, Keisha Lance Bottoms, 50 ans, a été la première à soutenir Joe Biden. Elle a fait preuve d’un leadership remarquable dans la foulée de l’assassinat du jeune Ahmaud Arbery par deux suprémacistes blancs et des mouvements de foule que le crime odieux a engendrés. Mais son expérience politique limitée à l’échelle locale en fait un choix audacieux, et risqué.
Autre choix détonnant, celui de Tammy Duckworth, 52 ans, une Thaïe-Américaine, vétérane de la guerre en Irak, dont les positions pour une réforme de la police trouvent un écho favorable par les temps qui courent. Comme sénatrice de l’Illinois, elle représente aussi un État crucial pour Biden en novembre prochain.