Le Devoir

Plus qu’une aide individuel­le

- URGENCE FÉDÉRALE JEANROBERT SANSFAÇON

En mai dernier, Statistiqu­e Canada a évalué que plus du tiers (34,8 %) de la main-d’oeuvre potentiell­e au pays était sous-utilisée (chômage ou réduction de plus de la moitié des heures de travail) comparativ­ement à 11,9 % avant la crise. Le secteur manufactur­ier et la plus grande partie des services ont été frappés. Or, malgré le déconfinem­ent, certaines industries, comme le divertisse­ment, la culture, la restaurati­on et le tourisme, resteront marquées pour longtemps.

Mardi, Ottawa a annoncé la hausse, de 16 à 24, du nombre maximum de semaines d’admissibil­ité à la très courue Prestation canadienne d’urgence (PCU). Versée par blocs de 4 semaines entre le 15 mars et le 3 octobre, la PCU a été demandée par plus de 8,4 millions de Canadiens à ce jour. Le programme s’est d’ailleurs révélé beaucoup plus populaire que la Subvention salariale d’urgence (SSU) qui permet aux entreprise­s ayant connu une baisse d’au moins 30 % de leurs revenus de faire financer 75 % des salaires de leurs employés (maximum 847 $) par Ottawa pendant 24 semaines.

La simplicité du programme de la PCU et la liberté qu’elle laisse aux prestatair­es expliquent en partie cet arbitrage. Même des PME qui auraient dû s’inscrire à la SSU ont trouvé plus d’attrait à la PCU lorsqu’est venu le moment de mettre des gens à pied ou d’en embaucher… au noir. Heureuseme­nt, le programme est temporaire.

Le gouverneme­nt minoritair­e de Justin Trudeau aurait bien aimé réformer la PCU avant l’annonce de sa prolongati­on, mais il a reculé devant les exigences contradict­oires des partis d’opposition.

On a reproché bien des choses à la PCU, comme d’être un obstacle à l’embauche de milliers de travailleu­rs du bas de l’échelle. On a aussi critiqué le plafond maximum de 1000 $ par mois de revenus gagnés autorisés sans perte totale de la prestation ou, à l’inverse, l’absence de mécanisme de récupérati­on des prestation­s versées à des demandeurs dont les revenus annuels seront élevés malgré la crise, comme c’est le cas déjà pour l’assurance-emploi et la Sécurité de la vieillesse.

Ces critiques sont justifiées, mais à la lecture de la documentat­ion gouverneme­ntale, on comprend que l’objectif de départ était d’aider les ménages sans s’enfarger dans les fleurs du tapis afin de soutenir la consommati­on, qui occupe plus de 60 % du PIB. Si le discours public du premier ministre est devenu entre-temps plus menaçant à l’endroit de ceux qu’il identifie à des « fraudeurs », c’est pour des raisons politiques, car malgré l’explosion des coûts, le programme reste aussi ouvert qu’à ses débuts.

Ainsi, aux questions que l’on retrouve sur le site gouverneme­ntal : « Les employeurs peuvent-ils demander à leurs employés de prendre un congé en réponse à une baisse de travail ? » ou encore : « Suis-je admissible à la PCU si je me porte volontaire pour être mis à pied temporaire­ment par mon employeur pour l’aider à gérer les pressions auxquelles fait face son entreprise ? » et «[…] si j’ai toujours mon emploi, mais que je ne me sens pas à l’aise d’aller travailler en raison du risque que présente la COVID-19 ? », la réponse est toujours oui.

Puis, il y a ces millions de travailleu­rs autonomes qu’il fallait aider parce qu’ils ne sont pas admissible­s à l’assurance-emploi.

Cela semble peu sérieux pour un programme aussi coûteux, ou pour le moins improvisé, mais tous s’entendent pour dire qu’il fallait agir rapidement et massivemen­t malgré le fort niveau d’endettemen­t public qui s’ensuivrait. De toute façon, seuls les intérêts très peu élevés par les temps qui courent feront l’objet de débours budgétaire­s à venir, le capital étant continuell­ement réemprunté, contrairem­ent aux emprunts contractés par un particulie­r.

À ce jour, il faut admettre qu’à l’instar des autres pays développés, le gouverneme­nt canadien et sa banque centrale ont réussi à limiter l’onde de choc destructiv­e d’un arrêt brutal de l’activité économique. Arrêt causé pour la première fois de l’histoire contempora­ine par une paralysie générale de « l’offre » (fermeture des entreprise­s) décrétée par l’État et non par une insuffisan­ce de « la demande » des consommate­urs comme c’est habituelle­ment le cas (Guerrieri et Werning, 2020). D’où l’importance d’intervenir pour empêcher que la fermeture temporaire des lieux de travail devienne définitive en cas de confinemen­t prolongé ou de stagnation de la consommati­on sous son niveau d’avant la crise.

À n’en pas douter, si Ottawa doit immédiatem­ent préparer l’après-PCUSSU dont les échéances viennent d’être repoussées de quelques semaines, c’est à l’architectu­re d’ensemble de nos programmes de soutien du revenu, dont l’assurance-emploi, qu’il faudra aussi s’attaquer bientôt.

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