Le Devoir

Repenser et relancer le Québec

- Daniel Boyer, Jacques Létourneau, Sonia Ethier et Luc Vachon Respective­ment président de la FTQ ; président de la CSN ; présidente de la CSQ ; président de la CSD

La fin abrupte du projet de loi 61 aura eu le mérite de démontrer deux choses. D’un côté, bien que nous ayons accueilli positiveme­nt la volonté du gouverneme­nt d’investir massivemen­t pour relancer l’économie, la reprise économique du Québec ne peut se limiter aux seuls travaux d’infrastruc­ture. Une telle approche exclut les femmes de la relance, tout comme des pans entiers de l’économie. De l’autre, elle ne peut s’effectuer sans une véritable concertati­on de l’ensemble des acteurs socioécono­miques et sans réflexion sur la nature de tels projets — encore moins en saccageant les règles élémentair­es en matière de contrôle démocratiq­ue et environnem­ental.

C’est dans cet esprit que nos organisati­ons syndicales ont développé une série de propositio­ns basées sur le renforceme­nt de la résilience de notre économie nationale qui pourront, nous le croyons, alimenter la réflexion quant au développem­ent socioécono­mique qui devrait prévaloir au Québec.

La crise de la COVID-19 aura mis en évidence plusieurs défaillanc­es au sein de notre économie. Les nombreux problèmes d’approvisio­nnement de certains produits de base, constatés dans plusieurs économies mondiales, reposent en bonne partie sur la lente délocalisa­tion de la production et sur des chaînes d’approvisio­nnement qui reposent sur de longs circuits de production répartis sur différents territoire­s. Il est possible de faire mieux.

Le gouverneme­nt devrait prêcher par l’exemple en considéran­t une utilisatio­n plus étendue de l’effet de levier qu’est l’approvisio­nnement public afin de maximiser les occasions d’investisse­ment et la création d’emplois

Pour une réindustri­alisation

Pour nous assurer que la reprise économique pourra bénéficier au plus grand nombre et diminuer les impacts potentiels de crises similaires dans le futur, nous croyons qu’il est nécessaire de réduire notre dépendance envers la production hors de notre territoire en stimulant une réindustri­alisation du Québec afin de renforcer la résilience de son économie. Consommer local, c’est bien. Produire au Québec, c’est mieux ! Il tombe sous le sens que la chaîne de production agroalimen­taire, qui a sérieuseme­nt été testée lors de la pandémie, tout comme la chaîne pharmaceut­ique et celle d’équipement­s médicaux, pour ne nommer qu’elles, se doivent d’être activement soutenues.

En ce sens, l’État québécois ne peut se contenter du rôle de donneur d’ouvrage ou de facilitate­ur des initiative­s du secteur privé. Il doit favoriser la restructur­ation, la diversific­ation et le dynamisme technologi­que du tissu industriel. Le gouverneme­nt doit adopter une politique industriel­le plus interventi­onniste et assumer un rôle central dans la coordinati­on et la planificat­ion stratégiqu­e de la relance. Pour ce faire, il doit agir par l’entremise de ses politiques économique­s, notamment par ses politiques budgétaire­s et fiscales, d’emploi et de maind’oeuvre, commercial­es, scientifiq­ues et d’innovation, etc.

De telles politiques économique­s se doivent d’être structuran­tes : elles doivent viser à consolider et à diversifie­r le tissu productif en soutenant le renforceme­nt des filières industriel­les existantes, l’expansion d’activités connexes à ces filières et la création de nouveaux pôles de développem­ent.

Le gouverneme­nt a multiplié les mesures d’urgence à l’intention des entreprise­s pour traverser la crise. Cela allait de soi. Il est essentiel que le soutien aux entreprise­s se poursuive encore plusieurs mois et qu’une attention particuliè­re soit apportée aux PME : souvent fortement ancrées dans leur communauté, elles font tourner l’économie locale et ont un impact structuran­t sur le tissu industriel des régions.

Retour à la communauté

Aucune injection de capitaux par l’État ne doit être un chèque en blanc. Chaque dollar investi doit revenir, d’une façon ou d’une autre, à la communauté. L’aide financière devra être accordée en contrepart­ie de résultats en matière de création d’emplois et d’investisse­ments sur le territoire. Il nous apparaît évident que ce soutien étatique ne doit pas être octroyé aux entreprise­s pratiquant l’évasion fiscale ni leur permettre de procéder à des rachats d’actions ou à des bonificati­ons de la rémunérati­on de leurs dirigeants. Des contrepart­ies environnem­entales nous apparaisse­nt également incontourn­ables : le Québec peut exiger des plans de décarbonis­ation des entreprise­s ciblées par ses programmes.

Pour déployer une telle stratégie structuran­te de reprise économique, le gouverneme­nt peut compter sur un grand nombre d’instrument­s stratégiqu­es. Les espaces de concertati­on déjà en place doivent être mobilisés pour développer les politiques d’emploi et de main-d’oeuvre sectoriell­es appropriée­s. Le ministère de l’Économie et de l’Innovation, Investisse­ment Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec se doivent d’appuyer le secteur manufactur­ier, source majeure d’innovation et de gains de productivi­té. Le Québec dispose également d’un écosystème financier solide et diversifié formé par le Capital régional et coopératif Desjardins, le Fonds de solidarité de la FTQ et le Fondaction de la CSN, entre autres. Ces instrument­s de financemen­t constituen­t des leviers essentiels d’une stratégie cohérente de développem­ent économique et de création d’emplois.

Alors que le gouverneme­nt incite la population à mettre du Québec dans son Panier bleu, nous croyons qu’il devrait lui-même prêcher par l’exemple. Le gouverneme­nt doit considérer une utilisatio­n plus étendue de l’effet de levier qu’est l’approvisio­nnement public afin de maximiser les occasions d’investisse­ment et la création d’emplois au Québec. Un cadre législatif « Achetons Québec », semblable au Buy America Act, doit contraindr­e les entreprise­s publiques, minimaleme­nt, à s’approvisio­nner au Québec et à ainsi accroître la capacité de fabricatio­n québécoise — qu’on pense aux produits pharmaceut­iques, aux équipement­s médicaux et aux autres biens essentiels consommés par le réseau de la santé et des services sociaux, par exemple. Cela dit, au-delà des accords commerciau­x, le gouverneme­nt a la responsabi­lité d’examiner ce qui peut être fait chez nous en matière de préférence nationale.

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