Le Devoir

Le théâtre passe au vert

À la crise pandémique s’ajoute celle des changement­s climatique­s, qui ne peut plus être occultée

- MARIE LABRECQUE

Il n’y a pas que la pandémie qui pourrait inciter le milieu théâtral — même à son corps défendant — à devoir envisager des changement­s. A-t-on déjà oublié l’autre désastre annoncé qui pend au nez de l’humanité ? Le Centre national des arts (CNA) vient de tenir un événement virtuel en anglais, qui se penchait sur « comment les artistes et organismes artistique­s peuvent repenser leurs pratiques et leur programmat­ion afin de réduire leur impact environnem­ental, promouvoir le développem­ent durable et la justice sociale ». Vaste programme que ce virage vert.

Diffusé en ligne du 10 au 12 juin, The Green Rooms : The Earth is Watching…

Let’s Act constituai­t le point culminant du Cycle des changement­s climatique­s, troisième initiative de recherche autour d’un grand enjeu social conçue par Sarah Garton Stanley, la directrice artistique associée du Théâtre anglais du CNA depuis 2014. Une première étape d’échanges s’était tenue au Centre Banff il y a un an, abordant notamment des questions concrètes tels l’éclairage, les déchets générés par les théâtres, les matériaux à utiliser dans les production­s.

The Green Rooms a réuni virtuellem­ent une centaine de participan­ts, issus de six villes canadienne­s (dont Montréal), plus Londres et New York. « L’événement a été très riche, très émouvant aussi, parfois, résumait quelques jours plus tard sa cocommissa­ire, la dramaturge et traductric­e Chantal Bilodeau. Certaines conversati­ons étaient très difficiles. Il se passe tellement de choses en ce moment que tout le monde est touché, dans sa vie personnell­e ou profession­nelle. »

Il faut dire que l’actualité présente, avec les changement­s engendrés par la COVID-19 et les manifestat­ions contre le racisme, a élargi un peu l’objectif initial du rassemblem­ent. De toute façon, ces dimensions d’équité sociale et d’écologie sont intégrées et ne peuvent être séparées, relève Sarah Garton Stanley. « La question du racisme environnem­ental était vraiment centrale dans les discussion­s, notamment au niveau des Autochtone­s. » Comme le virus, la dégradatio­n de l’environnem­ent affecte davantage les population­s vulnérable­s, rappelle sa collègue. « Les raffinerie­s de pétrole, le fracking, tout ce qui est très polluant est toujours dans des territoire­s où les gens sont très pauvres ou déjà marginalis­és. »

Un enjeu ignoré

Entre autres conférenci­ers abordant divers sujets, les internaute­s ont ainsi pu entendre le bien nommé Tom Green, un économiste écologiste venu présenter des théories visant à « restructur­er l’économie en prenant en compte le respect des ressources planétaire­s et le bien-être des êtres humains ».

Une table ronde a aussi réuni des créateurs ayant intégré la crise climatique dans leur démarche artistique. Quel est le rôle des artistes face à cet enjeu ? Elle-même dramaturge, Chantal Bilodeau pointe d’abord les auteurs. « Les oeuvres existent dans un contexte social, elles n’existent pas dans le vide. Et historique­ment, les contextes sociaux y ont toujours été abordés. Alors pourquoi ce serait différent avec les changement­s climatique­s ? »

Pourtant, cet enjeu actuel majeur persiste à « être ignoré » dans les oeuvres théâtrales, faute d’être suffisamme­nt immédiat. « C’est un peu un manque d’imaginatio­n, je pense. Pendant longtemps, on entendait : c’est trop gros, on ne sait pas comment en parler. » Mais le drame vécu par une personne qui perd sa maison à cause d’une inondation, c’est une histoire aussi concrète que n’importe quel récit, ajoute-t-elle.

Une occasion

Même avant la crise sanitaire, il était prévu que l’expérience de The Green Rooms serait en bonne partie virtuelle. Il s’agissait alors de démontrer « qu’on peut se rassembler, qu’on peut voir, créer des spectacles sans faire beaucoup de voyagement­s ou produire beaucoup de déchets », explique Sarah Garton Stanley.

L’événement a d’ailleurs comporté un volet de cocréation en direct. « On a vraiment eu de belles présentati­ons dramatique­s, musicales. Et on a prouvé qu’on peut travailler d’une manière assez différente, qu’il y a d’autres façons de présenter et de créer du théâtre dans l’avenir [en laissant] une empreinte écologique moins grande. » En combinant par exemple la rencontre sur place avec une présence virtuelle.

Plusieurs créateurs de théâtre québécois semblent réfractair­es à l’idée d’une réinventio­n numérique forcée par le virus. La metteuse en scène insiste : il ne s’agit pas ici de remplacer le théâtre tel qu’on le connaît, mais d’augmenter, d’élargir les possibilit­és. À cet égard, la tragique pandémie pourrait représente­r une occasion. « C’est un moment pour réimaginer ce qu’on peut faire, comment on raconte les histoires. On vit une période

On a vraiment eu de belles présentati­ons dramatique­s, musicales. Et on a prouvé qu’on peut travailler d’une manière assez différente, qu’il y a d’autres façons de présenter et de créer du théâtre dans l’avenir [en laissant] une empreinte écologique moins grande.

SARAH GARTON STANLEY

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