Québec prévoit un déficit « historique »
Le manque à gagner atteindrait les 14,9 milliards, du jamais vu
L’année financière 2020-2021 se soldera par un « déficit historique » de 14,9 milliards de dollars, a annoncé le ministre des Finances Eric Girard vendredi.
La réserve de stabilisation y passera au complet, a-t-il précisé lors de la présentation du « Portrait de la situation financière du Québec » au terme de la première vague de COVID-19.
« En dollars absolus », Québec se retrouve aux prises avec son déficit le
plus élevé depuis la Seconde Guerre mondiale, a souligné le ministre.
La crise sanitaire a forcé la fermeture de près de 40 % de l’économie québécoise et forcé la mise à pied de plus de 800 000 travailleurs. Son impact budgétaire totalise plus de 6,6 milliards de dollars.
De ce montant, près de 2,4 milliards seront dépensés tout au long de l’année dans l’achat de matériel de toute sorte, dont des masques N95 et chirurgicaux, des blouses, des gants, des visières et du liquide désinfectant. « Les achats faits jusqu’à maintenant devraient suffire pour couvrir l’essentiel de la présente année », mais le gouvernement effectue « un suivi constant [pour] s’assurer que le matériel est toujours disponible en quantité suffisante », peut-on lire dans le document d’une centaine de pages.
À elles seules, la formation accélérée et la rémunération des 10 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires coûteront 337 millions à l’État d’ici la fin du mois de mars 2021.
Les majorations salariales temporaires accordées au personnel de la santé se traduiront par des dépenses non prévues de centaines de millions : 207 millions pour les primes de 4 % et 8 % destinées au personnel de la santé et 123 millions pour la bonification salariale consentie aux préposés aux bénéficiaires en milieu privé.
Par ailleurs, M. Girard appréhende une diminution des revenus autonomes de l’État québécois de plus de 9,6 milliards. Les seules chutes de revenus des entreprises du gouvernement, dont Loto-Québec et Hydro-Québec, priveront l’État d’un milliard et demi. Ce sont des conséquences directes de la fermeture des centres de jeux et de la baisse de la consommation d’électricité dans les secteurs commercial et industriel.
Prévoir la deuxième vague
Le ministre des Finances a mis de côté 4 milliards en vue d’une possible deuxième vague.
Or, « il y a beaucoup d’incertitude rattachée à ces prévisions », a-t-il prévenu. Du nombre : « l’espoir » d’un vaccin, le volume des échanges commerciaux, « l’état sanitaire de nos voisins », le niveau d’activité des chaînes de production, a-t-il énuméré.
Le gouvernement vise un retour à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans. « La taxe de vente, l’impôt des particuliers, l’impôt des sociétés n’augmenteront pas, a promis M. Girard. Les Québécois sont déjà suffisamment taxés. »
Les promesses électorales de la CAQ ne devraient pas non plus pâtir de la pandémie, a aussi statué le ministre. Pas plus que la cote de crédit du Québec. « Nous avons une perspective stable avec toutes les agences de crédit et de notation », a affirmé l’élu caquiste.
Le premier ministre François Legault a fait preuve d’autant d’optimisme dans un point de presse organisé à Beaupré. « Je suis très confiant que d’ici la fin de 2021, on va retrouver le niveau de revenus qu’on avait », a-t-il affirmé. « Si on retrouve nos revenus et on retrouve nos dépenses, sauf pour les postes additionnels récurrents, on pense qu’on est capables, sur cinq ans, de ramener [l’équilibre] sans réduire les dépenses, juste avec la croissance des revenus. »
Choc d’une ampleur inégalée
La « mise sur pause » du Québec a privé 820 500 personnes de leurs emplois. Le taux de chômage a bondi de 4,5 % à 17 % entre février et avril, pour ensuite diminuer à 13,7 % en mai, après la réouverture de certains secteurs de l’économie. « Les conditions devraient continuer à s’améliorer d’ici la fin de l’année, mais tous les emplois ne reviendront pas », a averti le ministre Girard.
Certains secteurs, comme le tourisme, le transport aérien ou le commerce de détail risquent de subir les conséquences de la pandémie à plus long terme. L’impact sur l’économie de ces « perturbations temporaires » sera important.
Le ministre des Finances anticipe désormais une contraction du Produit intérieur brut réel de 6,5 % en 2020. En mars dernier, il tablait plutôt sur une croissance de 2 %.
Je suis très confiant que d’ici la fin de 2021, on va retrouver le niveau de revenus qu’on avait FRANÇOIS LEGAULT
Le gouvernement caquiste a l’ambition de retrouver d’ici décembre 2021 le niveau de production de décembre 2019.
Les oppositions réagissent
L’opposition officielle s’est dite inquiète et étonnée des prévisions du ministre des Finances. Il « table sur une croissance optimiste de 6 %, dépassant même les prévisions des grandes institutions financières », a réagi la cheffe libérale Dominique Anglade. « Nous nous inquiétons du fait que le gouvernement voit son scénario le plus pessimiste se réaliser en matière de déficit, mais table quand même sur un scénario de croissance optimiste. »
Québec solidaire a dit déceler dans le discours de M. Girard une volonté de sabrer les services publics.
Le Parti québécois a qualifié la prévision du gouvernement d’« excessivement conservatrice », jugeant « fort probable » un retour à l’équilibre budgétaire plus rapide que « le gouvernement le laisse entendre ».
Les partis d’opposition se sont entendus sur une chose : la nécessité d’une aide bonifiée pour les petites entreprises qui tirent le diable par la queue. « Pour un gouvernement qui prétend être au service des entrepreneurs, le gouvernement de la CAQ est cheap », a lancé le solidaire Vincent Marissal.