Le Devoir

Près de la moitié des dossiers ont été rejetés

Les groupes de parrains jugent l’attente difficile, mais la réponse que plusieurs recevront sera décevante

- SARAH RAHMOUNI Avec Lisa-Marie Gervais

Sans nouvelle du ministère de l’Immigratio­n depuis cinq mois, des groupes de parrains qui ont déposé des dossiers de parrainage de réfugiés s’inquiètent pour leurs protégés qui vivent une attente difficile à l’autre bout du monde. En cette Journée mondiale des réfugiés, ces Québécois ne se cachent pas non plus pour dénoncer ce silence radio du gouverneme­nt et les longs délais de traitement.

Le ministère de l’Immigratio­n, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n (MIFI) a communiqué au Devoir les chiffres tant attendus en fin de journée : 1222 dossiers ont été reçus pour l’ensemble des catégories, alors que seuls 750 dossiers proposés par des particulie­rs ou des organismes sont acceptés par le ministère. C’est presque 1 dossier sur 2 qui est refusé et certaines catégories n’atteignent pas les quotas. Quant aux groupes qui parrainent de 2 à 5 réfugiés, à qui on ne réserve que 100 dossiers, ils ont été très nombreux à se manifester, leurs demandes constituan­t presque la moitié du lot.

Fatigué d’attendre, Sylvain Thibault, qui fait partie d’un grand groupe de personnes qui parrainent dix Congolais actuelleme­nt réfugiés en Ouganda, avait décidé de relancer le ministère il y a une semaine, le dépôt des candidatur­es étant terminé depuis le 5 juin.

« On s’est fait dire que des accusés de réception ont été envoyés à partir du 8 juin », dit-il, toujours en attente du sien. Le MIFI a pour sa part reconnu que tout son programme connaît des ratés. « Ce n’est pas seulement le processus de réception des demandes qui pose problème, mais le programme lui-même », a déclaré Élisabeth Gosselin, l’attachée de presse du ministre Simon Jolin-Barrette.

Accusé de « cafouillag­e » lors du dépôt du 20 janvier dernier, le gouverneme­nt avait reconnu ses torts dans la gestion du processus de dépôt qui imposait le recours à des messagers, les seuls à être autorisés à remettre des dossiers. Des centaines de parrains avaient fait la file d’attente plusieurs jours devant — puis à l’intérieur en raison du froid — des bureaux du ministère de l’Immigratio­n à Montréal, dans l’espoir d’être les premiers à déposer leurs dossiers, selon la règle du « premier arrivé, premier servi ». Cette méthode aurait entraîné de nombreux cas d’intimidati­on et d’extorsion pour obtenir une meilleure place dans la file d’attente.

Eux aussi attendent

Marie-Jeanne Blain, qui fait partie du groupe élargi qui parraine les mêmes Congolais, est inquiète. « C’est vraiment l’angoisse, parce qu’on sait que dans le camp, leur situation ne va pas en s’améliorant », déplore cette professeur­e à l’Université de Montréal, spécialist­e des questions d’immigratio­n.

« On vit dans une situation totalement précaire », a lancé Déo, le père de sept enfants âgés entre 4 et 26 ans que parrainent Mme Blain et son groupe.

« Nous vivons dans deux chambres seulement et sommes obligés de passer la nuit au sol, explique celui qui a fui la RDC en 2016, après que sa femme a été violée et tuée aux mains des rebelles. [Et] quand vous arrivez, on vous donne des nappes, quatre casseroles, six assiettes, une bâche, et c’est fini. »

Parmi ces réfugiés, Arestote et Ninda, deux adolescent­s orphelins que le père monoparent­al a pris sous son aile à leur arrivée au camp en 2017, s’attendaien­t à une aide plus immédiate du gouverneme­nt fédéral. « Mais nous espérons qu’ils nous aideront un jour », confie Arestote.

Le jeune Congolais de 19 ans croit qu’il ne foulera pas le sol canadien avant au moins 18 mois, mais n’exclut pas la possibilit­é qu’il soit plus long, en raison de la pandémie. Selon Mme Blain, « il peut arriver toutes sortes de technicali­tés qui font que les dossiers ne passent pas. »

Sylvain Thibault croit que d’autres obstacles, notamment au niveau fédéral, les attendent. « Ce n’est pas parce qu’on décide de les parrainer qu’ils sont nécessaire­ment des réfugiés. [Mais] va falloir qu’ils se lèvent de bonne heure en maudit pour me dire que ce ne sont pas des réfugiés. »

L’aide nécessaire des parrains

En absence d’aide, c’est le groupe de parrains qui a décidé de les prendre en charge pour les aider à subvenir à leurs besoins « et pour qu’au moins leur état de santé soit maintenu », a précisé Marie-Jeanne Blain. « On essaie d’être là pour eux moralement et avec un certain support financier dans la mesure du possible. »

Ce soutien financier sert à leur assurer une certaine sécurité alimentair­e ainsi qu’un accès à de l’eau potable. Plusieurs des réfugiés congolais avaient souffert à tour de rôle de la fièvre typhoïde à la suite d’une consommati­on d’eau contaminée.

Ce parrainage « non officiel » fait déjà une grande différence dans la vie de ces réfugiés qui ne reçoivent que près de 6 $ par mois, rapporte Déo, le père monoparent­al. Pour Marie-Jeanne Blain, ce programme de parrainage est un bel exemple de la volonté collective, « et on pourrait faire beaucoup plus, ça c’est certain », ajoute-t-elle.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Ce groupe, qui parraine dix Congolais réfugiés en Ouganda, ne savait toujours pas vendredi si sondossier avait reçu l’aval du ministère québécois de l’Immigratio­n.

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