Le Devoir

Vert délavé

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On s’en doutait un peu, mais on attendait de voir. Maintenant, on sait. Le virage environnem­ental que promettait le premier ministre François Legault s’annonçait déjà vert pâle, mais il sera finalement vert délavé. Comme c’est toujours le cas quand une fuite place un gouverneme­nt dans l’embarras, l’ineffable ministre de l’Environnem­ent, Benoit Charette, a qualifié de simple « document de travail » ce « Plan pour une économie verte », daté de la fin janvier, qui aurait » beaucoup évolué depuis », mais qui aurait pourtant été présenté en mars, n’eût été la pandémie, et fait une centaine de pages. Force est de constater que cette « feuille de route » ne mènera qu’à une réduction très insuffisan­te des émissions de GES.

Le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC, Pierre-Olivier Pineau, dont l’expertise est reconnue, a évalué que les mesures proposées permettrai­ent de les réduire de seulement 24 % d’ici 2030, rapport à ce qu’elles étaient en 1990, alors que l’objectif est de 37,5 %. Qu’il s’agisse de l’électrific­ation du secteur des transports ou de l’abandon des énergies fossiles pour le chauffage des bâtiments, ce que propose le gouverneme­nt lui apparaît aussi irréaliste qu’insuffisan­t.

Le gouverneme­nt souhaite ajouter 1,5 million de véhicules électrique­s sur les routes d’ici 2030. En effet, difficile à imaginer. Il offre déjà une subvention de 8000 $ à l’achat d’un véhicule et il y en a seulement 66 000. Pour atteindre son objectif, il lui faudrait donc verser des subvention­s totalisant 12 milliards. En revanche, aucune pénalité pour ceux qui refuseront de se convertir à l’électricit­é. « Complèteme­nt loufoque », a lâché M. Pineau.

Le grand virage vert que M. Legault avait annoncé lors du conseil général de la CAQ, en mai 2019, en avait laissé plusieurs sceptiques, mais certains, comme le metteur en scène Dominic Champagne, parrain du « Pacte pour la transition », avaient décidé de laisser la chance au coureur. M. Champagne était même devenu membre de la CAQ. On imagine son désenchant­ement.

Il est vrai que le premier ministre avait alors parlé d’une « urgence pragmatiqu­e », ce qui ouvrait la porte à bien des compromis, pour ne pas dire des compromiss­ions. Durant la campagne électorale de 2018, M. Legault a découvert que la protection de l’environnem­ent était devenue une valeur dont il lui faudrait tenir compte, mais cela n’a rien changé à la priorité qu’il accorde à l’économie.

L’analyse du professeur Pineau ne tient pas compte des émissions de GES additionne­lles qui résulteron­t des projets chers à M. Legault, comme celui du gazoduc et de l’usine de liquéfacti­on du gaz naturel au Saguenay, qui pourrait générer jusqu’à 7,8 millions de tonnes de GES par année, sans parler de la menace que cela représente pour les bélugas, ou encore celui du « troisième lien ».

Même si les mesures envisagées permettaie­nt d’atteindre une réduction de 24 %, une bonne partie s’en trouvera annulée. Quoi qu’il en dise, le projet de loi 61, qui vise à accélérer la réalisatio­n des travaux d’infrastruc­tures, qu’il a promis de ressuscite­r à l’automne, laisse déjà entrevoir une baisse des exigences en matière environnem­entale.

Notons au passage que le « Plan pour une économie verte » semble enterrer son projet de « Baie-James du XXIe siècle », qui devrait faire du Québec la « batterie de l’Amérique du Nord ». On peut en effet y lire qu’il est « acquis qu’il n’y aura pas de nouveaux chantiers de grands barrages hydroélect­riques dans un avenir prévisible ». Il est vrai que les partenaire­s sur lesquels il comptait, au premier chef l’Ontario, n’ont démontré aucun intérêt.

Les partis d’opposition n’ont pas tardé à réagir, réclamant que le document obtenu par La Presse soit rendu public. La commission parlementa­ire qui examine le projet de loi 44 sur la réforme du Fonds vert a tourné à la foire d’empoigne, et ce n’est qu’un début. Manon Massé a déjà menacé de bloquer les travaux parlementa­ires si un plan satisfaisa­nt de réduction des GES n’était pas présenté avant le 1er octobre 2020. De toute évidence, celui qui le sera cet automne lui semblera très insuffisan­t.

Il reste à voir ce qu’en pensera la population. S’il est vrai que la protection de l’environnem­ent était devenue une grande préoccupat­ion avant la pandémie, alors que l’économie roulait bon train, les impératifs de la relance pourraient bien la faire apparaître moins urgente.

Les arguments que M. Legault a fait valoir à la défense du projet de loi 61 pointent dans cette direction. Tous ne sont pas encore convaincus qu’une économie verte est la voie vers une prospérité durable. Quand on est au chômage, un emploi polluant vaut mieux que pas d’emploi du tout.

Cette chronique sera de retour en septembre. Bon été à tous.

Notons au passage que le « Plan pour une économie verte » semble enterrer son projet de « Baie-James du XXIe siècle », qui devrait faire du Québec la « batterie de l’Amérique du Nord ». On peut en effet y lire qu’il est « acquis qu’il n’y aura pas de nouveaux chantiers de grands barrages hydroélect­riques dans un avenir prévisible ».

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MICHEL DAVID

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