Emmanuel Macron pourra-t-il se « réinventer » ?
Le sort de son premier ministre, Édouard Philippe, n’est toujours pas arrêté
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le dirigeant qui a le plus pâti de la crise de la COVID-19 et de ces longues semaines de confinement n’est ni le président américain, Donald Trump, ni le premier ministre britannique, Boris Johnson, ni le président chinois, Xi Jinping. C’est Emmanuel Macron. Contrairement à tant d’autres comme Angela Merkel et François Legault, le président français, dont la cote de confiance était déjà très basse avant la crise, sort de celle-ci avec un des niveaux de popularité parmi les plus bas dans les pays de l’OCDE.
C’est pourquoi l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin ironisait sur les « 500 jours » qui restent au président avant les élections de mai 2022. Une allusion aux Cent-Jours de Napoléon qui menèrent l’empereur à… Sainte-Hélène.
À deux ans de l’élection présidentielle, un an après les gilets jaunes, rarement un président aura-t-il affronté un climat social aussi tendu. La France n’était pas encore déconfinée que 20 000 personnes se réunissaient devant la préfecture de police de Paris pour soutenir la famille Traoré, dont l’un des fils est mort lors d’une interpellation policière dans des circonstances non élucidées. Quelques jours plus tard, ce sont les policiers qui, s’estimant lâchés par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, manifestaient un peu partout en France en jetant leurs menottes au sol.
« Sûr de gagner » ?
« Sachons nous réinventer. Moi le premier », avait pourtant déclaré le président le 13 avril dernier alors que les Français découvraient avec stupeur que la cinquième puissance du monde n’avait ni les masques ni les tests requis pour faire face à l’épidémie.
Se réinventer, soit. Mais comment ? « Emmanuel Macron en est là. […] Ses munitions sont épuisées. Il doit les reconstituer vite pour ne pas ressembler à Nicolas Sarkozy, qui n’avait pu se faire réélire en 2012, ou à François Hollande, qui n’est pas parvenu à se représenter en 2017 », écrit la chroniqueuse du Monde Françoise Fressoz.
Depuis deux semaines, les rumeurs les plus folles ont couru. À commencer par celle d’une élection présidentielle anticipée évoquée par le président luimême lors d’une réunion à huis clos. Ce qui aurait été une première sous la Ve République. « Je suis sûr de gagner, car il n’y a personne en face », aurait même déclaré de manière présomptueuse Emmanuel Macron.
Pour l’instant du moins, ce scénario ne semble pas avoir été retenu. La dissolution de l’Assemblée nationale, réclamée par la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, semble aussi écartée. Reste donc la possibilité d’un remaniement et d’un changement de premier ministre.
Si tel était le cas, croit-on à l’Élysée, il faudrait agir vite. Possiblement avant le 14 juillet et après le second tour des élections municipales, le 28 juin. Des élections qui d’ailleurs n’annoncent rien de bon pour la majorité. Or, la première question qui se pose au président est de savoir s’il doit conserver Édouard Philippe. Le premier ministre est, sous la Ve République, le fusible traditionnel destiné à protéger le président et à lui permettre ainsi de relancer son action. Édouard Philippe n’avait-il pas été choisi, il y a trois ans, justement parce qu’il ne risquait pas de faire trop d’ombre au président ?
Plus populaire que Macron
Toutefois, comment se débarrasser d’un premier ministre qui recueille aujourd’hui 54 % de bonnes opinions alors que le président en recueille 64 % de mauvaises ? C’est l’épidémie qui a creusé le fossé. Pendant que le président semblait se prendre pour Clemenceau, les Français ont découvert un premier ministre minutieux et rassurant qui osait même dire, parfois, qu’il ne savait pas. Alors qu’il se présente à la mairie du Havre et fait la une de Paris Match, Édouard Philippe flotte depuis quelques semaines sur un nuage.
D’autant que les candidats à sa succession ne sont pas nombreux. Parmi eux, on trouve les ministres de l’Économie, Bruno Le Maire, et des Comptes publics, Gérald Darmanin. Deux anciens membres des Républicains (LR) qui pourraient se présenter comme les maîtres d’oeuvre d’une vigoureuse relance économique. Mais la rumeur court aussi d’un « virage social et écologiste » accompagné d’un référendum dont le ministre des Affaires étrangères, l’ancien socialiste Jean-Yves Le Drian, pourrait être le fer de lance.
À l’Élysée, on demeure néanmoins convaincu que, la gauche étant toujours dans un coma profond, l’élection de 2022 se jouera à droite et pas ailleurs. C’est pourquoi, par exemple, le président ménage ses bonnes relations avec l’ancien candidat à la présidence, le nationaliste Philippe de Villiers. Son parc thématique, le Puy du fou, a d’ailleurs été autorisé à rouvrir de manière précipitée.
La « souveraineté » de retour
En cas de remaniement, plusieurs ministres pourraient sauter. Difficile en effet de miser aujourd’hui sur Christophe Castaner, qui n’a plus la confiance des services de police même s’il demeure un proche parmi les proches. Il en va de même de la ministre de la Justice, Nicole Beloubet, qui s’est fait claquer la porte au nez alors qu’elle avait offert de recevoir la famille Traoré, dont plusieurs membres sont des multirécidivistes plusieurs fois condamnés par la justice. Même chose pour la porte-parole Sibeth Ndiaye, qui a multiplié les maladresses pendant le confinement. Mais Macron osera-t-il couper le cordon ombilical ? « C’est sa faiblesse, confiait un proche au magazine Le Point. […] Il n’ose pas se fâcher, il n’ose pas tuer. »
Élu en 2017 comme le candidat de la mondialisation heureuse, Emmanuel Macron avait d’abord dû affronter la désillusion des gilets jaunes. Alors que la France est apparue cruellement dépendante de l’étranger pendant la crise, voici le président obligé de se faire le chantre de la relocalisation d’entreprises stratégiques et de parler de souveraineté. Un programme sur lequel Marine Le Pen avait fait toute sa campagne en 2017. « Qui a vendu la branche énergie d’Alstom aux Américains ? Qui veut céder les chantiers de l’Atlantique aux Italiens ? Qui a soutenu le CETA et l’a fait voter par sa majorité ? » demande le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau.
Chez les observateurs, on évoque un possible « big bang » gouvernemental créant de grands pôles ministériels et réduisant le nombre de ministères. « À moins de deux ans de l’échéance de 2022, Emmanuel Macron a-t-il déjà perdu la prochaine élection présidentielle ? » s’interroge l’éditorialiste de Marianne Jacques Julliard. C’est dans les mois qui viennent que la réponse pourrait tomber.