Le Devoir

Paré pour la deuxième vague

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Le ministre des Finances, Eric Girard, a présenté le Portrait de la situation économique et financière 2020-2021. Il décrit l’état des lieux en cette année de pandémie, y va de ses prévisions quant à un retour à la normale, ou à ce qui s’en approche, et dévoile les grandes orientatio­ns qui guideront la gestion des finances publiques. On y apprend qu’après l’arrêt de 40 % de l’économie à la fin mars, suivi du déconfinem­ent graduel, l’État verra ses revenus autonomes chuter de 8 milliards, ou 6 %, associés à une hausse des dépenses de 6,6 milliards, dont 3,5 milliards en santé, quelque 900 millions en soutien aux particulie­rs et près de 2 milliards pour appuyer les entreprise­s. L’activité économique reculera de 6,5 % en 2020.

Le déficit atteindra 15 milliards, ce qui comprend toutefois le versement de 2,5 milliards au Fonds des génération­s et une provision de 4 milliards pour les risques économique­s et sanitaires à venir.

Pour arriver à ces chiffres, le ministre des Finances tient compte du versement déjà engagé par Ottawa d’une somme de 1 milliard pour la pandémie, mais aussi de la part de Québec, c’est-à-dire 3 milliards des 14 milliards que Justin Trudeau a promis pour aider les provinces à assumer leurs dépenses accrues en santé. Or, le gouverneme­nt fédéral insiste pour poser des conditions avant de délier les cordons de sa bourse dans ce champ de compétence des provinces, ce à quoi Québec s’oppose fermement. Eric Girard vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

Quoi qu’il en soit, ce coussin de 4 milliards est un élément rassurant. Sur le plan financier, à court terme, le gouverneme­nt Legault est en mesure de faire face aux éventualit­és, dont à une deuxième vague de COVID-19 à l’automne.

Ce déficit de 15 milliards est le plus important en termes absolus que le Québec aura connus depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais il sera comblé en totalité par l’utilisatio­n de la réserve de stabilisat­ion du même montant, composé des surplus accumulés au cours des cinq dernières années.

La dette brute du Québec augmentera à 222 milliards, passant de 43,4 % à 50,4 % du PIB. La cible de 45 % inscrite dans la Loi sur la gestion de la dette était atteinte avant l’échéance de 2025-2026. Mais c’est à recommence­r, et le respect de cette échéance pourrait être compromis. Qu’à cela ne tienne, le Québec est toujours bien vu par les marchés obligatair­es et n’a aucune difficulté à financer sa dette. C’est ce qui importe dans les circonstan­ces.

Pour la suite des choses, Eric Girard se montre « ambitieux » : c’est son mot. En décembre 2021, après un rebond de 6 %, le Québec aura retrouvé le niveau de production qu’il connaissai­t en 2019. En 2022, l’économie renouera avec un taux de croissance de 2 %. C’est en effet ambitieux puisqu’il concède que des emplois seront perdus, notamment dans le transport aérien, le tourisme et le commerce de détail. Le taux de chômage demeurera élevé, à 9,5 % à la fin de 2020 et à 7,6 % l’année suivante.

En ce qui a trait à ses grandes orientatio­ns, qui sont de fait des engagement­s, le gouverneme­nt caquiste se donne cinq ans pour revenir à l’équilibre budgétaire : pas question de précipiter les choses. Il souhaite maintenir le poids de la dette à un niveau soutenable, mais sans recourir à l’austérité et compromett­re ainsi les services publics, ni alourdir le fardeau fiscal. Ce sont là des orientatio­ns louables sur le plan social et souhaitabl­es sur le plan économique. Mais compte tenu des aléas, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Les prévisions de son ministère sont soumises à beaucoup d’incertitud­es, a reconnu Eric Girard. Il est toutefois persuadé que les finances publiques du Québec résisteron­t mieux maintenant qu’à la suite de la récession de 2008, pourtant marquée par un recul moins prononcé. D’abord, la situation de départ, marquée par des surplus récurrents, est avantageus­e, a-t-il expliqué. D’autre part, la baisse de revenus, due à l’arrêt des activités économique­s, est temporaire, et une grande partie des dépenses supplément­aires est ponctuelle.

On veut bien le croire. Tout repose sur le comporteme­nt de l’économie réelle, ici comme sur les marchés d’exportatio­n, et ses répercussi­ons sur les investisse­ments des entreprise­s. Avec une deuxième vague de COVID-19 à l’automne, avec ou sans médicament, ou même en l’absence d’une deuxième vague majeure. Pour avoir une idée beaucoup plus claire de ce qui nous attend, nous devrons attendre la mise à jour économique, ce minibudget prévu pour novembre prochain.

Pour l’heure, devant de telles inconnues, la boule de cristal des économiste­s, même les plus ferrés du ministère des Finances, peut s’embrouille­r. On en est quittes pour faire preuve d’un optimisme que l’on veut le plus lucide possible.

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ROBERT DUTRISAC

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