Le Devoir

Refusons de laisser sombrer les aînés dans l’isolement

- Marilyn Simard, Fannie Lajeunesse­Trempe et Maude Lépine

Extraits d’une lettre envoyée aux ministres Danielle McCann et Marguerite Blais

Nous prenons la parole aujourd’hui puisque nous sommes très préoccupés par le sort des personnes âgées au Québec qui sont hébergées en centre d’hébergemen­t et de soins de longue durée (« CHSLD ») et dans les autres résidences pour personnes âgées en raison de la dureté des mesures de confinemen­t qui continuent de s’appliquer à leur endroit et qui compromett­ent sérieuseme­nt leur santé et leur bien-être.

Nos collègues du réseau de la santé et nous sommes témoins des conséquenc­es délétères des mesures de confinemen­t sur la santé physique et psychologi­que des personnes âgées, ce qui soulève chez nous de grandes inquiétude­s.

Rappelons que les visites sont interdites dans les CHSLD et les autres résidences pour aînés depuis le 14 mars et que le 23 mars le confinemen­t obligatoir­e de ces établissem­ents était ordonné suivant l’adoption d’un arrêté ministérie­l à cet effet empêchant les sorties à l’extérieur des résidents, sous réserve de certaines exceptions.

Depuis l’adoption de ces mesures de confinemen­t, seulement deux adoucissem­ents ont été annoncés par le gouverneme­nt, soit l’autorisati­on accordée le 5 mai aux résidents des résidences privées pour aînés (« RPA ») sans aucun cas de contaminat­ion de sortir à l’extérieur sans supervisio­n ainsi que celle accordée le 11 mai dernier relativeme­nt à la visite des proches aidants.

Plusieurs conséquenc­es

En date d’aujourd’hui, la situation demeure la suivante dans certains établissem­ents du Québec : des personnes âgées sont confinées à leur chambre, jusqu’à vingt-quatre heures sur vingtquatr­e, depuis trois mois maintenant, et ce, qu’elles soient infectées par le virus ou non. Afin d’empêcher qu’elles en sortent, le recours à des mesures de contention physique, environnem­entale et médicament­euse est désormais fréquent.

Pourtant, ces mesures de privation de liberté devraient être utilisées de façon minimale et exceptionn­elle. Certaines personnes n’ont pu voir un seul membre de leur famille en trois mois et se retrouvent donc complèteme­nt isolées sur le plan social, abandonnée­s à elles-mêmes. Ajoutons à ce portrait la gamme très réduite des soins et des services que reçoivent les résidents depuis le début de la pandémie : les activités du service des loisirs ont souvent été annulées, la fréquence des bains complets, des lavages de cheveux et des soins de pieds a été réduite, voire annulée, l’hygiène buccale est réduite au strict minimum, aucun soutien psychologi­que ou psychiatri­que n’est accordé à ces personnes et ainsi de suite. […]

Les conséquenc­es d’un tel confinemen­t sont nombreuses chez les personnes âgées. En effet, l’isolement social et l’immobilisa­tion qu’elles subissent ont des effets néfastes sur leur santé physique, psychologi­que et cognitive. D’une part, de nombreuses études ont démontré que l’isolement social et le sentiment de solitude chez les personnes âgées étaient associés à un plus grand risque de maladies cardiovasc­ulaires, à un affaibliss­ement du système immunitair­e, à un déclin cognitif accéléré, à des symptômes psychologi­ques d’anxiété et de dépression et même à un plus grand risque de décès.

D’autre part, en étant peu stimulées et confinées à leur chambre, de nombreuses personnes âgées souffrent présenteme­nt d’immobilisa­tion. Le syndrome d’immobilisa­tion résulte des conséquenc­es de l’alitement ou de la réduction significat­ive des mouvements et de la mobilité. Il peut entraîner des atteintes multisysté­miques graves pour les personnes âgées vulnérable­s. […]

Force est de constater que nous sommes en train d’assister collective­ment au déclin de l’autonomie et des facultés physiques et cognitives de nombre de personnes âgées au Québec qui souffrent des mesures de confinemen­t. […]

Il est grand temps d’assouplir les mesures sanitaires en place dans certains établissem­ents, car elles minent de façon trop importante la santé des aînés, leur qualité de vie de même que leurs droits et libertés fondamenta­ux. Il s’agit aujourd’hui de trouver des solutions durables, respectueu­ses de la santé globale des personnes âgées et de leurs droits. À l’heure actuelle, ce devrait être une priorité gouverneme­ntale.

Des solutions

Dans ce dossier urgent, deux orientatio­ns doivent selon nous être privilégié­es par le gouverneme­nt.

1. Prévention. D’une part, le gouverneme­nt doit s’assurer que les mesures de confinemen­t présenteme­nt en vigueur dans les établissem­ents sauvegarde­nt la santé physique, psychologi­que et cognitive des aînés de même que leur dignité et leur qualité de vie, tout en prévenant la propagatio­n du virus.

2. Réparation. D’autre part, le gouverneme­nt doit déployer tous les efforts et toutes les ressources nécessaire­s afin de réparer, dans la mesure du possible, les dommages physiques et psychologi­ques que le confinemen­t a déjà causés aux aînés. Le confinemen­t qu’ils vivent constitue un véritable traumatism­e, et devrait être considéré comme tel dans l’approche à adopter. […]

Collective­ment, sur le plan médical comme sur le plan humain, nous devons refuser de laisser sombrer les aînés du Québec dans l’isolement plus longtemps. Nous ne pouvons accepter d’assister passivemen­t à la détériorat­ion de leurs facultés, de leur autonomie, de leur qualité de vie, voire de leur dignité. Nous devons impérative­ment prendre action et leur offrir tout le soutien qui leur revient.

*Cette lettre est appuyée par une soixantain­e de médecins, gériatres, internes, dont on trouvera la liste sur nos plateforme­s numériques.

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