Le Devoir

Le racisme est-il une histoire de statues ?

Déboulonne­r nos monuments revient à renier une part de notre identité collective et individuel­le

- Alexandre Noguera

Détruire les statues revient à vouloir effacer de la mémoire collective des hommes et des femmes qui ont, à leur manière, marqué la société dans laquelle ils et elles vivaient

La mort de George Floyd a soulevé une grande indignatio­n un peu partout dans le monde. Bien qu’il soit normal et nécessaire de dénoncer et de condamner le racisme ainsi que l’ensemble des discrimina­tions, rien ne saurait légitimer les velléités de certains d’effacer de l’espace public les statues des hommes et des femmes qui nous ont précédés.

Tandis que les tribunaux sont les gardiens des libertés collective­s et individuel­les, les historiens, eux, sont les gardiens de la mémoire collective. Détruire les statues revient à vouloir effacer de la mémoire collective des hommes et des femmes qui ont, à leur manière, marqué la société dans laquelle ils et elles vivaient.

Lorsque nous parlons de destructio­n d’oeuvres artistique­s qui sont les vestiges d’un passé révolu par des individus aux motivation­s fort diverses, il devient plus que nécessaire de s’interroger sur les conséquenc­es que cela provoque sur les conscience­s collective­s, sur la société et sur le rapport qu’entretient celle-ci avec son passé.

Détruire une oeuvre artistique n’est pas une action anodine, elle est l’expression d’une fracture structurel­le profonde, signe annonciate­ur d’un profond changement dans la société. Lorsqu’en août 1793 la Convention nationale ordonne de s’attaquer aux « cendres impures des tyrans », elle ne se doutait pas que la profanatio­n de la nécropole royale de Saint-Denis entraînera­it une importante destructio­n des gisants royaux. En procédant à la destructio­n des restes des hommes et des femmes illustres inhumés dans la nécropole royale, la Convention, et par extension les révolution­naires, souhaitait consommer définitive­ment la rupture opérée lors de l’abolition de la monarchie en date du 21 septembre 1792 dans le but d’affirmer l’existence d’un ordre nouveau incarné par la République. La destructio­n des statues opérée au temps de la Révolution française représente, d’une part, une perte majeure du patrimoine artistique des siècles antérieurs et incarne, d’autre part, un changement structurel dans la société de cette époque.

Source d’enseigneme­nt

Cette comparaiso­n m’amène à dire que la présente entreprise de déboulonna­ge des oeuvres monumental­es publiques traduit un profond changement au sein des sociétés occidental­es. Néanmoins, bien qu’il soit louable de vouloir faire progresser les mentalités, il ne faudrait nullement sacrifier la mémoire incarnée par ces statues sur l’autel du progrès. Les statues sont bien plus que des oeuvres d’art, ce sont des objets imprégnés d’une valeur mémorielle forte. C’est par elles que le citoyen peut comprendre les évolutions des sociétés passées, comprendre le monde dans lequel il vit et tirer les enseigneme­nts qu’il convient des erreurs de nos prédécesse­urs. La statue peut rendre hommage à un homme politique, à une femme qui a sacrifié sa vie pour son pays (pensons ici à Jeanne d’Arc), mais elle est également une source d’enseigneme­nt.

Déboulonne­r les statues revient à renier l’héritage qui est le nôtre, à renier une part de notre identité collective et individuel­le, et surtout à ouvrir la porte à un révisionni­sme qui fait fi des aspects négatifs de son passé, ce qui amène à une réécriture de l’histoire où toute objectivit­é est absente. Ces statues tant critiquées ne devraient pas être une source de division, mais bien au contraire une source d’inspiratio­n collective, dans laquelle le citoyen et la citoyenne peuvent puiser un enseigneme­nt du passé pour faire évoluer la société vers une ère où les discrimina­tions tendraient à s’effacer au profit d’une grande tolérance.

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