Le Devoir

Les solutions existent déjà

Des centaines de recommanda­tions très précises pour améliorer la situation des peuples autochtone­s dorment sur les tablettes de l’État

- Sébastien Brodeur-Girard et Marie-Andrée Denis-Boileau

Le gouverneme­nt Legault a annoncé cette semaine la création d’un « groupe d’action pour lutter contre le racisme », y compris celui visant les Premières Nations et les Inuits. Il présente cette démarche comme étant « pragmatiqu­e ».

Si on ne peut certes pas déplorer que le gouverneme­nt actuel s’intéresse à une problémati­que aussi importante, il est cependant difficile de concevoir comme « pragmatiqu­e » une énième consultati­on, alors même que des centaines de recommanda­tions très précises pour améliorer la situation des peuples autochtone­s dorment sur les tablettes de l’État après des dizaines d’années de consultati­ons et de commission­s d’enquête. […]

Depuis trente ans, les recommanda­tions sont grosso modo toujours les mêmes. En matière de justice par exemple : autodéterm­ination et gouvernanc­e, revitalisa­tion et documentat­ion du droit autochtone (droit inuit, innu, attikamek, etc.) et des systèmes de justice autochtone­s, justice communauta­ire autochtone, ressources communauta­ires et sociales, ressources en santé mentale et physique, améliorati­on des conditions de vie et déjudiciar­isation.

Toujours la même chose. Depuis trente ans.

La commission Viens, à laquelle nous avons pris part, a rendu son rapport en septembre dernier. Plus de 1088 témoins ont été entendus pendant les deux ans et demi d’enquête et d’audiences qui ont eu lieu de Kuujjuaq à Montréal, de Val-d’Or à Uashat mak Mani-Utenam. Parmi ces témoins, des dizaines d’experts et de représenta­nts des communauté­s autochtone­s, mais surtout des centaines de citoyennes et de citoyens qui ont raconté, certains pour la première fois, les histoires de discrimina­tion qu’ils ont subie auprès des services publics québécois.

Discrimina­tion systémique

Les conclusion­s tirées par l’honorable Jacques Viens de cette enquête exhaustive sont sans équivoque : « Au terme de l’exercice, il me semble impossible de nier la discrimina­tion systémique dont sont victimes les membres des Premières Nations et les Inuits dans leurs relations avec les services publics ayant fait l’objet de l’enquête. » Le commissair­e précise : « Les structures et les processus en place font montre d’une absence de sensibilit­é évidente aux réalités sociales, géographiq­ues et culturelle­s des peuples autochtone­s. »

Cela ne signifie évidemment pas que les attitudes discrimina­toires sont toujours intentionn­elles et que le personnel des institutio­ns concernées est toujours raciste. Ce n’est pas cela, la discrimina­tion systémique. Mais au Québec comme ailleurs au Canada, pour reprendre les termes du rapport final de la Commission, « de nombreuses lois, politiques, normes ou pratiques institutio­nnelles en place sont des sources de discrimina­tion et d’iniquité au point d’entacher sérieuseme­nt la qualité des services offerts aux Premières Nations et aux Inuits ».

Par ailleurs, tous ces rapports en viennent à cette même conclusion de discrimina­tion systémique.

Questionné­e à savoir quelles avaient été les suites données aux appels à l’action de la commission Viens ainsi qu’aux appels à la justice de l’ENFFADA, la ministre D’Amours, responsabl­e des Affaires autochtone­s, n’a d’ailleurs pu que vaguement mentionner la tenue de quatre réunions avec les représenta­nts autochtone­s en près de 10 mois — aucune en présence du chef de l’État — afin de « prioriser » les actions à prendre, comme si le gouverneme­nt était incapable de traiter plus d’un élément à la fois.

Fort surprenant également était le refus cette semaine de la ministre D’Amours de parler franchemen­t de discrimina­tion systémique, pourtant au coeur des nombreux rapports sur les questions autochtone­s. Ce faisant, le gouverneme­nt du Québec s’isole en demeurant l’une des rares institutio­ns incapables de mettre des mots concrets sur une réalité pourtant reconnue par le gouverneme­nt fédéral, la Cour suprême du Canada, les dirigeants de la plupart des autres provinces, la Ville de Montréal et de nombreux services policiers à travers le pays.

À l’heure où les violences envers les Autochtone­s continuent à faire les manchettes avec une régularité dévastatri­ce, il est plus que temps qu’un gouverneme­nt prenne au sérieux les recommanda­tions des multiples commission­s qui se sont penchées sur les aspiration­s et les besoins des peuples autochtone­s, ainsi que les demandes de multiples personnes et organismes pour leur mise en oeuvre. Nous le devons aux centaines de personnes ayant eu le courage de parler publiqueme­nt devant les commission­s, dans l’espoir que leurs voix participen­t au changement.

*Les deux auteurs ont fait partie de l’équipe de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtone­s et certains services publics (commission Viens), respective­ment à titre de codirecteu­r de la recherche et de procureure.

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