Odile Tremblay
S’écroulent avec fracas ou sont peinturlurées et couvertes de graffitis bien des statues dans le sillage des manifestations monstres ayant suivi le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd par un policier blanc. En temps de juste révolte, alors que l’Amérique et l’Occident s’enflamment, des bronzes prennent des coups sous les appels à reconstruire un monde meilleur sur les cendres d’un passé à abattre.
Qu’est-ce qu’une statue, sinon un symbole à admirer ? Et quand celui-ci se nourrit d’oppression, ça pose problème. Celles des héros confédérés esclavagistes du sud des États-Unis défiaient les descendants des captifs soumis aux fouets des maîtres d’antan. Le bronze équestre du général Robert E. Lee, commandant en chef des troupes sudistes durant la guerre de Sécession, souillé de part en part à Richmond, en Virginie, sera déboulonné sous peu. Les autorités de l’État et de la ville s’y engagent, envoyant un signal de respect à la minorité noire indignée.
Dans ces États du Sud, un culte est toujours voué à ceux qui défièrent le Nord pour maintenir leurs plantations bourrées d’esclaves et un mode de vie archaïque. Le racisme y demeure plus virulent qu’ailleurs. Beau symbole devant lequel entretenir le feu des fidèles !
Que s’effacent ces statues des espaces publics ! Elles n’ont même pas été érigées au XIXe siècle après la guerre de Sécession pour apaiser des deuils locaux, mais au cours des années 1920. Les honteuses lois ségrégationnistes Jim Crow séparaient alors les Blancs des Noirs dans les services publics. Et je vous laisse deviner quel groupe avait droit aux bancs pouilleux du fond de l’autobus.
En Louisiane, on visite les cases exiguës où s’entassaient les familles d’esclaves de jadis. Or le seul musée américain voué à leur mémoire n’a ouvert là-bas ses portes qu’en 2014, sur l’ancienne plantation de canne à sucre Whitney, pour raconter l’horreur de ce passé. Existe-t-il un monument à l’esclave inconnu dans les États sudistes ? Non. Les généraux confédérés méritaient seuls l’honneur des commémorations. Deux poids, deux mesures.
Parfois, les démantèlements s’imposent. Devoir de mémoire ou pas, l’Allemagne n’expose sur ses places aucune statue de Hitler, ni la France des statues de Pétain. Dans les pays de l’ancienne Union soviétique, tant de bustes de Staline et de Lénine furent jetés par terre ou détruits. Allez en blâmer les « vandales » !
Les périodes de révolte ayant jalonné l’histoire de la Rome ancienne à nos jours, en passant par la Révolution française et nos épisodes felquistes, ont rimé avec déboulonnage de statues. On comprend la rage destructrice des symboles quand la marmite collective déborde. Ainsi autour des manifestations antiracistes des dernières semaines. Mais si tout était simple, ça se saurait. À Londres, dans la foulée revendicative, la statue de Churchill fut vandalisée. En France, plusieurs sculptures du général de Gaulle le furent tout autant. Ces grands hommes ont entretenu des préjugés raciaux, à leur époque répandus et revendiqués. Ils n’en ont pas moins sauvé le monde libre de la botte nazie. Des héros d’hier possèdent leurs zones d’ombre. Et ceux qui défendent la statuaire au nom de la connaissance de l’Histoire ont raison dans bien des cas.
La tendance est désormais de mettre en perspective sur une plaque attenante les hauts faits et les dérives peu glorieuses de certains pétrifiés qui recueillent la fiente des pigeons sur leurs têtes. Souvent à juste titre. Après tout, bien des gens connaissent mal leur histoire. Autant leur donner l’occasion de se renseigner quand le bilan général du legs est globalement positif avec enseignements à livrer. Toutes les statues ne méritent pas d’être marquées du sceau de l’infamie. Certaines, oui.
Aux États-Unis, trois monuments à la mémoire de Christophe Colomb, découvreur européen des Amériques, ont été vandalisés pour son génocide des Premières Nations issu d’explorations lancées par les monarques espagnols. On comprend. Reste que des mises au point placées sur les socles en aideraient sans doute plus d’un à saisir le contexte d’une époque de conquêtes arrogantes, héritage commun à mieux décoder.
Les temps de soulèvement sont porteurs de changements et d’excès. Sans eux, rien ne bouge. Il ne sont guère propices à des réflexions mûries pour autant. Nombre de statues abîmées ont été placées par les autorités en lieu sûr, en attendant des jours moins agités. Certaines prendront alors le chemin des musées. Plusieurs seront remises sur pied, d’autres se verront vouées à l’effacement mémoriel. Autant évaluer plus tard leur sort au cas par cas, en prenant des décisions collectives à tête reposée.
Quant aux bronzes des militaires sudistes aux États-Unis, leur compte est bon ! Ces statues n’entretiennent que la hargne malsaine de Blancs nostalgiques d’un passé sombre à désavouer.