Le Devoir

Ceci est mon corps, et il est à moi !

Dans le deuxième tome d’Extases, Jean-Louis Tripp raconte une fois de plus ses aventures sexuelles

- FRANÇOIS LEMAY COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

C’est quelque chose qui est présent dans ma vie et là, j’en suis totalement coupé. On ne parle pas, ici, seulement de sexe, mais de contacts humains. Oui, Extases, c’est sur le sexe, mais au-delà, j’espère surtout que ça parle d’amour et de rapport aux autres.

JEAN-LOUIS TRIPP

Le deuxième tome d’Extases, série auto-érotico-biographiq­ue du bédéiste français installé au Québec depuis 2003, Jean-Louis Tripp, devait paraître le 9 avril. COVID-19 oblige, la mise en librairie a été reportée, ici, au 4 juin même si l’album est bel et bien paru en mars dernier, en France. Un bien drôle de timing étant donné que le thème central de cette série, la célébratio­n de la sexualité, en prenait pour son rhume en cette saison de distanciat­ion physique. C’est, bien évidemment, un des sujets qui ont été abordés lors de la discussion, via écrans interposés, avec l’auteur.

« En France, la bédé est sortie une semaine avant le début du confinemen­t. Alors moi, tout mon programme pour le mois de mars avec les salons du livre, les séances de signature et les rencontres a été annulé. Or, le fait que le lancement ait été reporté au Québec me permet de partager des articles et des critiques faites ici, vers la France. Ça me remet un peu sur la

map, en France. Ça me fait du bouche-à-oreille, et c’est essentiel. »

En même temps, il y a quelque chose d’antinomiqu­e dans la présentati­on, en plein confinemen­t, d’une bédé portant sur le rapprochem­ent physique. « Oui, et je trouve ça difficile. C’est quelque chose qui est présent dans ma vie et là, j’en suis totalement coupé. On ne parle pas, ici, seulement de sexe, mais de contacts humains. Oui, Extases, c’est sur le sexe, mais au-delà, j’espère surtout que ça parle d’amour et de rapport aux autres. C’est marrant, parce qu’on dirait que plus nos sociétés

évoluent, moins on se touche. Plus on évolue, plus on a peur. Et le confinemen­t, c’est le summum de ça. »

« Et pour rester dans le politique, parce que je prétends qu’Extases est politique, j’ai peur que ce contenu-là encourage encore plus de contrôle. Cela dit, je ne nie pas qu’il fallait peut-être le faire, le confinemen­t, c’était probableme­nt nécessaire, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit encore d’un moyen de contrôler le corps. Vous n’avez même plus le droit de vous toucher entre vous, d’aller voir votre blonde ou votre

chum si vous n’êtes pas confinés avec lui… »

Il y a quand même, dans l’idée même de l’interdit, quelque chose qui nourrit le fantasme ? Si on donne tout, qu’est-ce qu’il reste ? « Ça, pour moi, c’est une absolue constructi­on sociale. On me disait ça à propos de la masturbati­on, quand j’étais ado. On me disait que si je me masturbais en regardant des films pornos, j’allais tuer mon imaginaire. C’est complèteme­nt absurde. Bon, c’est assez évident, j’ai fait Extases, alors je suis quelqu’un qui a toujours eu beaucoup de fantasmes, beaucoup d’imaginatio­n ! Mais pas seulement pour le sexe, pour plein de domaines, parce que ma vie, c’est quand même d’écrire des histoires. Moi, j’ai toujours eu envie de réaliser mes fantasmes, j’en ai réalisé quelques-uns et cela n’a pas tué mon imaginaire. Il y en a toujours des nouveaux qui arrivent. »

Un corps politique

Cela dit, il y a, quand même, et on semble remarquer que c’est pire depuis l’arrivée d’Internet, une pollution constante de l’esprit alors que nous sommes constammen­t soumis dans notre quotidien à des images à caractère sexuel. Pour certaines personnes, c’est source de frustratio­ns parce qu’on génère des désirs qui sont particuliè­rement difficiles à assouvir. Est-ce que le fait de vivre une sexualité plus décomplexé­e nous rendrait moins perméables à ce genre de choses ?

« Absolument. Et c’est là que l’on rejoint la question du politique. Pour moi, le contrôle des corps a toujours été une question politique. L’esclavage, c’est ce qu’il y a de pire, c’est de l’ultracontr­ôle parce qu’on possède, littéralem­ent, le corps de quelqu’un d’autre. Mais même le fait d’emprisonne­r des gens, le fait que notre système de contrôle passe par la prison, cela en dit long sur notre société. On en est venu à ça. Le but, c’est le contrôle du corps, c’est de le brimer. »

« Les luttes des femmes, c’est constammen­t ça. Or, depuis le mouvement #MoiAussi, c’est à ça qu’on assiste, à une réappropri­ation de leur corps par les femmes. Et le harcèlemen­t et le viol, bien évidemment, c’est une négation du fait que la femme possède son corps et qu’elle en fait ce qu’elle veut. Et tout ça passe par le consenteme­nt. Une fois que je décide de ce que je fais de mon corps, tant que ça ne heurte personne, eh bien, ça ne regarde que moi. »

Et les femmes que vous nous avez montrées, dans leur intimité, elles savent ? Elles réagissent comment ? « Alors, évidemment, j’ai changé les noms et les physiques, mais il est certain que celles qui y sont se reconnaiss­ent. Ce qui a été particulie­r, c’est le personnage principal du premier tome, Caroline, que j’avais complèteme­nt perdue de vue depuis 30 ans. Je ne savais pas, mais elle me suivait, elle avait lu Extases et elle m’a contacté. Elle était contente, même si ça l’a un peu secouée de voir ça. Au final, elle m’a dit que cela lui avait rappelé des souvenirs, que ça l’avait fait rire et pleurer, alors, elle l’a très bien pris. Il faut dire aussi que je ne règle pas de comptes, dans Extases. Je suis respectueu­x des gens avec qui j’ai vécu ces aventures. »

Et Dieu sait qu’il y en a, des aventures, dans Extases. Dans toutes sortes de positions, même…

 ?? HUBERT HAYAUD LE DEVOIR ?? Jean-Louis Tripp dans son atelier montréalai­s
HUBERT HAYAUD LE DEVOIR Jean-Louis Tripp dans son atelier montréalai­s

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