: LES DÉFIS QUE POSE LE JEU DE CHAISES MUSICALES AUQUEL S’EST PRÊTÉ FRANÇOIS LEGAULT
Il aura pour alliée Dominique Savoie. Cette ex-sous-ministre libérale avait été qualifiée de « mauvaise administratrice » par le caquiste Éric Caire, puis réhabilitée par son parti en avril pour régler les problèmes d’approvisionnement dans le réseau de la santé. Le conseil des ministres a officialisé sa nomination comme sous-ministre à la Santé lundi soir.
« A-t-on déjà vu la ministre ET le sous-ministre en titre déplacés EN MÊME TEMPS ? », a réagi sur Twitter Gaétan Barrette, ex-ministre libéral de la Santé. « Quel signal ! Soulignons, félicitons Mme Dominique Savoie, qui sera passée de persona non grata totalement incompétente aux yeux de la CAQ à rien de moins que sous-ministre en titre à la Santé. »
Mme Savoie devra notamment mettre les p.-d.g. des CISSS et des CIUSSS « au pas ». La tournée des régions qu’a entreprise le premier ministre n’est pas étrangère à cette volonté d’obtenir des « obligations de résultat » de la part de ces gestionnaires, après les avoir évalués.
« Il reste encore beaucoup de choses à faire […] pour que nos p.-d.g. de CISSS et de CIUSSS soient plus imputables », a déclaré François Legault. « C’est difficile d’évaluer la performance des différentes personnes dans le réseau quand on n’a pas toutes les données nécessaires. »
La mobilité du personnel, la configuration de l’hébergement et l’application des mesures de prévention et de contrôle des infections figurent dans la liste des priorités de la nouvelle sousministre, perçue comme étant « très opérationnelle ».
Or, est-il trop tôt pour ce genre d’approche ? « Je pense que le système de la santé a tellement besoin d’amour et de soins qu’il aurait peut-être eu besoin encore de l’approche apaisante de Mme McCann », a observé la professeure de l’Université Laval Mireille Lalancette. « Un gestionnaire n’est pas nécessairement réputé pour être apaisant. »
L’immigration change de mains
Le jeu de chaises musicales a aussi pour effet de retirer le portefeuille de l’Immigration à Simon Jolin-Barrette, dont la contre-performance lors de la réforme du Programme d’expérience québécoise n’est pas passée inaperçue dans les hautes sphères du pouvoir.
« On en profite pour lui enlever l’Immigration », a confié une source au gouvernement. De là, ce membre de « la relève des jeunes nationalistes » — c’est l’expression de François Legault — migre vers la Justice.
« Simon Jolin-Barrette devient le plus jeune ministre de la Justice de l’histoire du Québec », s’est réjoui le premier ministre. Ses adversaires politiques qui espéraient voir un « changement de ton » au Salon bleu se sont montrés déçus : l’élu de Borduas conserve le poste de leader parlementaire. Cette double fonction, de procureur général du Québec et de leader parlementaire, a été occupée par le libéral Jean-Marc Fournier de 2010 à 2012. Le choc entre la neutralité et l’esprit de parti imposé par l’un et l’autre de ces rôles avait amené les libéraux à ne plus répéter cette expérience.
Le remaniement permet en revanche au premier ministre de souligner la « grande confiance » qu’il a en Sonia LeBel, qui obtient le Conseil du trésor. S’il était « tombé en amour » avec Danielle McCann lors de la campagne électorale de 2018, voilà maintenant qu’il témoigne de son affection pour la ministre LeBel, qu’il a appelée « mon trésor » en se retournant vers elle, tout sourire.
L’ex-procureure hérite des délicats dossiers des négociations dans le secteur public et du projet de loi omnibus sur la relance économique (projet de loi 61).
La ministre Nadine Girault obtient quant à elle le ministère de l’Immigration et conserve ses fonctions aux Relations internationales. Il s’agirait de mettre l’élue au « défi », de voir de quel bois elle se chauffe dans des fonctions plus délicates que celles qu’elle occupait auparavant, dit-on en coulisses.
Ceci n’est pas un remaniement
François Legault, qui avait nié la semaine dernière les rumeurs de remaniement, s’est gardé d’utiliser cette expression. Il a dit souhaiter « avoir une nouvelle équipe pour donner un nouveau souffle » au réseau de la santé.
Or, « c’est un remaniement ministériel important, très important », a jugé l’expert en communication politique Thierry Giasson, de l’Université Laval.
Le choix de mots relève peut-être d’un souci de « ne pas affoler la population », a-t-il suggéré. « De remplacer la ministre alors que la crise n’est pas terminée, ça peut amener des gens à ressentir de l’incertitude. […] Pourquoi c’est le président du Conseil du trésor qui va se retrouver à gérer le ministère de la Santé ? Estce que c’est annonciateur de coupures ? » a-t-il illustré.
Le remaniement « est l’admission explicite du premier ministre du manque de préparation de son gouvernement », a réagi la cheffe libérale, Dominique Anglade. « Le premier ministre aura quand même à répondre à tous les Québécois du fait que nous détenons l’un des pires bilans au monde de cette crise. »
« Quel message le gouvernement envoie-t-il en nommant un financier à la tête du ministère de la Santé alors qu’il vient d’annoncer sa volonté de revenir à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans ? » a demandé l’élue solidaire Manon Massé de son côté.
« Le changement de ministre et de sous-ministre de la Santé en pleine pandémie nous indique que le gouvernement reconnaît l’échec de ses préparatifs en CHSLD », a aussi réagi le chef péquiste, Pascal Bérubé.
Dans les couloirs du parlement, des stratèges ont déjà ouvert les paris sur le sort qui sera réservé au directeur national de santé publique, Horacio Arruda, dont le contrat arrive à échéance le 31 juillet. Mais s’il avait fallu le remplacer, « ç’aurait déjà été fait », a souligné une source dans le milieu de la santé.