Bayer versera plus de 10 milliards aux plaignants américains
L’entente pourrait avoir un effet collatéral au Canada
L’entente à l’amiable au sujet du RoundUp aux États-Unis est de bon augure pour les actions collectives en cours au Canada, estiment des avocats impliqués dans le dossier. Mercredi, la multinationale Bayer a annoncé un règlement de plus de 10 milliards de dollars avec des milliers de plaignants américains soutenant que l’utilisation de cet herbicide cause le cancer.
« C’est une bonne nouvelle pour les plaignants au Canada, même si ça ne signifie pas que les actions collectives au Canada soient résolues. Cependant, c’est le présage d’une potentielle résolution rapide des réclamations de notre côté de la frontière », juge Raymond F. Wagner, l’associé principal d’une firme de Halifax qui représente les plaignants en Nouvelle-Écosse.
Des démarches d’actions collectives sont actuellement en marche dans sept provinces canadiennes. Pour l’instant, plus de 1000 personnes ont contacté le cabinet de Me Wagner pour prendre part à l’action collective néoécossaise. « Bon nombre d’entre eux » souffrent d’un lymphome non hodgkinien qu’ils associent au désherbant de marque RoundUp.
Clint Docken, un avocat de Calgary qui mène la charge en Alberta, est du même avis que son collègue : « Généralement, les règlements aux États-Unis
ont un effet sur les litiges parallèles au Canada. Souvent, les actions collectives se terminent ici de la même manière », observe-t-il, en espérant un dénouement rapide pour ses clients.
En achetant le fabricant du RoundUp, Monsanto, pour 63 milliards $US en juin 2018, la société agrochimique allemande Bayer a également hérité des poursuites liées au produit controversé. Rappelons qu’en 2015, le Centre international de recherche sur le cancer, affilié à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé le glyphosate comme cancérogène probable. Ses fabricants maintiennent que l’herbicide est sécuritaire lorsqu’il est utilisé conformément aux instructions.
Au Québec, c’est la firme Dussault, Lemay et Beauchesne qui s’occupe du dossier. L’avocate Marie-Pier Smith s’est faite avare de commentaires sur l’entente américaine, notant simplement que les procédures canadiennes et québécoises se poursuivent.
« Énorme » compensation
Mercredi, Bayer a annoncé qu’elle payerait 8,8 à 9,6 milliards $US pour mettre fin aux litiges l’opposant actuellement à des utilisateurs de RoundUp. Environ 95 000 plaintes associées à ce produit seront ainsi résolues, selon Bayer. Les plaignants, représentés par 25 firmes d’avocats différentes, recevront des montants variables. Une partie de l’argent est mise de côté pour résoudre le cas de quelque 25 000 plaignants qui n’ont pas immédiatement voulu se rallier à l’entente.
L’entreprise a aussi prévu une somme de 1,25 milliard afin de répondre aux plaintes futures de personnes développant un cancer après avoir utilisé l’herbicide.
« D’abord et avant tout, le règlement sur le RoundUp est la bonne action au bon moment pour Bayer afin de mettre un terme à une longue période d’incertitude », a déclaré le p.-d.g. de l’entreprise, Werner Baumann, par voie de communiqué. Ce dernier se réjouit aussi qu’un « mécanisme clair » encadre dorénavant les « risques de potentiels litiges futurs ». Il n’admet pas la dangerosité du produit.
Ces dernières années, la pression se faisait de plus en plus forte, notamment du côté des investisseurs, pour que
Bayer trouve une solution au problème récurrent des poursuites liées au RoundUp. Depuis l’été 2018, l’entreprise a été sommée à trois reprises par des tribunaux américains de verser de lourdes compensations à des victimes.
Même par rapport aux standards américains, la somme de plus de 10 milliards consentie mercredi par Bayer est « énorme », souligne Catherine Piché, une professeure de droit à l’Université de Montréal et la fondatrice du Laboratoire sur les actions collectives. « C’est un immense règleéchantillon ment qui va certainement avoir un impact sur les dossiers au Québec et au Canada », dit-elle.
Chez Bayer Canada, on assure pourtant que l’entente conclue au sud de la frontière n’aura « aucune incidence sur les litiges au Canada ». « Nous n’envisageons pas un règlement [à l’amiable] pour les affaires canadiennes liées au glyphosate. Et bien qu’il existe certaines similitudes entre les systèmes juridiques américain et canadien, ils sont en fait très différents, notamment en ce qui concerne les dommages et intérêts », indique-t-on dans une réponse écrite en anglais.
Ainsi, la voie de la négociation menant à un règlement hors cour semble pour l’instant plutôt fermée au Canada. L’avocat Clint Docken dit être en contact très peu fréquemment avec l’entreprise. « Nous encourageons Bayer à nous parler aussi », dit-il, comme elle l’a fait aux États-Unis.
Autorisé au Canada
En janvier 2019, Santé Canada a confirmé le renouvellement de son autorisation du glyphosate pour une période de quinze ans. Des écologistes, des chercheurs et des professionnels de la santé lui avaient demandé de reconsidérer les conclusions de son évaluation de 2017, après qu’on eut appris grâce aux Monsanto Papers que certaines études considérées par Santé Canada avaient été manipulées par la compagnie.
Après un nouveau coup d’oeil par 20 scientifiques, Santé Canada a jugé que les bases scientifiques de la précédente décision restaient valides. « Aucun autre organisme d’évaluation dans le monde ne juge que le glyphosate pose un risque pour la santé humaine, y compris un risque cancérigène aux doses auxquelles la population canadienne est exposée », déclarait alors Frédéric Bissonnette, un conseiller du ministère.