Un spectre qui hante le féminisme
Un spectre hante le féminisme : le spectre des droits trans. Depuis que J.K. Rowling s’est déclarée « gender critical », une forme de féminisme qui ne reconnaît pas les femmes trans en tant que femmes, tout un chacun semble vouloir prendre position. L’autrice de Harry Potter a-t-elle tort ? Peut-on toujours aimer ses oeuvres ? Est-ce que ses propos sont haineux ? Ferait-elle les frais d’une « campagne désastreuse pour avoir osé une déclaration aucunement outrageante », comme le suggère Nassira Belloula (en Libre opinion le 23 juin) ?
En effet, un lecteur peu avisé ne verra pas nécessairement le problème que posent les mots que J.K. Rowling a choisis. C’est en les plaçant dans leur contexte que l’on comprend la haine qui les anime, celle de décennies de marginalisation pour les personnes trans aux mains de cette branche du mouvement féministe. Celle de Janice Raymond, autrice de The Transsexual Empire (1979), pour qui les transsexuelles ne faisaient que renforcer des stéréotypes de genre. Celle du Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter, dont les actions ont rendu légales certaines formes de discrimination contre les personnes trans au Canada. Celle de PDF Québec, une organisation féministe qui a trouvé bon de lutter contre le changement de mention de sexe sans chirurgie en 2015.
Question de survie
Soyons clairs : les revendications du mouvement pour les droits des personnes trans sont en réalité très concrètes.
La reconnaissance des identités trans, et donc la possibilité de changer de nom et de mention de sexe. L’accès aux modifications corporelles, des hormones aux chirurgies. Et enfin, le droit de ne pas être assassiné comme Sisi Thibert en 2017 à Montréal, ou comme Dominique Rem’mie Fells et Riah Milton dans les dernières semaines.
Vous aurez remarqué que l’idée de neutraliser l’association entre menstruations et féminité ne figure pas dans cette liste. Ostraciser une autrice transphobe non plus. Notre priorité, c’est la survie.
N’importe qui peut trouver des anecdotes ridicules ou offensantes sur les enjeux trans. En toute honnêteté, j’en ai vu plus que ma part. De temps en temps, elles sont même vraies ! Mais si on creuse un peu, on découvre généralement des alliés bien intentionnés qui sont allés au-delà de leur mandat.
C’est là que je vois le réel problème. Les vies des personnes trans suscitent toujours des discussions et des débats entre personnes cis (c’est-à-dire non trans). Même quand elles souhaitent se faire entendre, les personnes trans doivent conformer leur message aux exigences d’un système dirigé et peuplé par des personnes cis. C’est ce que j’appelle la « médiation cis » : il y a toujours des intermédiaires cis en position d’autorité entre les communautés trans et les auditoires qu’elles cherchent à rejoindre.
Le cas de J.K. Rowling illustre bien ce phénomène. Ses opinions étaient déjà connues dans les milieux trans au moins depuis qu’elle a exprimé son soutien envers Maya Forstater, une femme qui aurait perdu son emploi pour des propos gender critical. Sa sortie publique sur les menstruations n’a surpris personne dans nos rangs. Mais comme le tweet fautif a été vu puis critiqué par des personnes cis, il est devenu le nouveau champ de bataille des droits trans, où s’opposent principalement des femmes gender critical et des personnes cis cherchant à mieux inclure les personnes trans.
Si j’avais à choisir un champ de bataille pour le Québec d’aujourd’hui, il serait bien différent. Le débat porterait sur le financement des organismes venant en aide aux personnes trans marginalisées, comme l’ASTT(e)Q, sur la décriminalisation du travail du sexe, sur le définancement de la police, ou encore sur l’éradication du racisme systémique.
Toutes des choses qui aideront beaucoup plus les personnes trans qu’une guerre ouverte contre Harry Potter.
Les revendications du mouvement pour les droits des personnes trans sont en réalité très concrètes. La reconnaissance des identités trans, et donc la possibilité de changer de nom et de mention de sexe. L’accès aux modifications corporelles, des hormones aux chirurgies.