Les anges gardiens de l’État
Récits de fonctionnaires québécois qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés aux premières lignes du combat contre la COVID-19
Ils s’occupaient des lignes téléphoniques, de l’aide aux entreprises ou de la communication gouvernementale. En quelques jours, la pandémie a placé certains employés de l’État en première ligne. Le Devoir a recueilli leurs histoires.
Martin Boucher a passé les derniers mois dans son sous-sol à coordonner les communications du gouvernement sur le Web. « C’était des heures de fou. Durant au moins 6 semaines, on faisait des 16 heures par jour. C’est mes enfants qui venaient me porter de la bouffe. »
Son équipe et lui s’occupaient du site quebec.ca avec les infos de base sur la COVID-19.
Basé au secrétariat du conseil exécutif, son poste était déjà stratégique en partant. Mais sans aucune mesure avec la réalité de la pandémie. Lors de la plus grosse pointe de fréquentation, le site a reçu 2 millions de visites. Une journée normale, c’est environ 100 000. On n’avait jamais vu des chiffres de cet ordre-là. »
Depuis mars, la section « COVID-19 » sur le site est passée d’une à 80 pages. « On a vécu quelque chose pour lequel il n’y a pas de livre. Il a fallu rapidement viser sur l’instinct, le jugement », se félicite-t-il.
Alexis Guilbert-Couture n’est pas prêt d’oublier le jour où lui et ses collègues du ministère de la Santé ont installé un matelas gonflable dans le bureau de Lucie Opatrny, la sous-ministre adjointe. « Les premiers jours, on travaillait jour et nuit », raconte-t-il. Responsable de l’ensemble des services de santé de première ligne au ministère de la Santé, Mme Opatrny était notamment responsable des hôpitaux et des cliniques de dépistage.
Ils étaient trois adjoints exécutifs à se relayer pour l’assister. « La routine était costaude », se souvient Alexis Guilbert-Couture. « On raccrochait le téléphone à 22 h 30 et 23 h et on était exténué. »
Rythme effréné
On a souvent entendu parler des anges gardiens du réseau de la santé, mais l’État a aussi eu les siens. Pandémie oblige, l’État s’est trouvé à l’avant-plan.
À peine sortie du rush associé à la préparation du budget, l’économiste Miary Ny Aina Rakotomaharo s’est attelée à trouver des mesures « simples, faciles, rapides » pour « injecter le plus de liquidités [possible] dans l’économie », raconte cette spécialiste des politiques aux particuliers au ministère des Finances. « On sait travailler avec des échéances courtes. Mais avec la pandémie, le rythme était encore plus rapide ». Surtout, le ministère des Finances devait demeurer fonctionnel, ajoute Maude AmiotTremblay, coordonnatrice des opérations de financement regroupé. Sa direction reçoit des avances du gouvernement, pour ensuite octroyer des prêts aux organismes publics, parmi lesquels figurent les hôpitaux. « Il fallait qu’au jour un, on soit fonctionnels en télétravail, tout le monde […] On ne pouvait pas se permettre d’avoir une interruption de services. »
Au secteur de la politique budgétaire, l’économiste Gabriel LorenzatoDoyle a dû faire preuve d’une plus grande créativité qu’à l’habitude dans la production de prévisions économiques. La cueillette d’informations s’étant complexifiée, « on a dû faire plus d’hypothèses et porter plus de jugements ». « On est arrivés un peu dans l’inconnu et une grande incertitude. […] Il faut être plus autonomes, y aller avec ce qu’on a et faire du mieux qu’on peut », lance-t-il.
« La plupart des gens ne comprennent pas ce qu’on fait dans la fonction publique », note Josée Lepage de la direction des services de soutien aux élèves au ministère de l’Éducation. « Mais toute mesure gouvernementale annoncée est soutenue par un paquet de travailleurs en dessous qui font des recherches, des analyses, des propositions de solutions, des recommandations ».
Elle donne l’exemple de la mise sur pied des services de garde d’urgence. Ça s’annonce le vendredi et le lundi, il faut que ça soit en place, y compris l’inscription, les communications avec les commissions scolaires, les locaux, les mesures de protection, les protocoles, etc. « Derrière chaque annonce, ça roule. »
Marie-Claude Lajoie est la secrétaire générale du ministère de l’Économie. Elle n’est pas près d’oublier le 23 mars 2020. Le premier ministre venait d’annoncer la fermeture de l’économie à l’exception de certaines entreprises « prioritaires ». Des milliers d’entreprises ont soumis leur dossier pour faire partie de la liste. Le mardi en fin de journée, son équipe avait 2791 dossiers à analyser. « On voulait traiter les demandes assez rapidement parce qu’on était bien conscients de l’importance que ça avait pour les gens. »
Depuis leurs maisons respectives, les membres de son équipe se sont réparti les dossiers en télétravail. Mme Lajoie, elle, coordonnait les opérations de sa cuisine d’où elle est sortie à minuit, une heure.
Le personnel de la Sécurité civile s’activait quant à lui au Centre national de la coordination gouvernementale à Québec. « On était le centre névralgique de l’information », explique Adi Jakupovic, l’un des coordonnateurs de l’équipe. « On avait deux équipes de travail au cas où une des équipes était contaminée. Heureusement, ce n’est jamais arrivé. »
En temps normal, M. Jakupovic est secrétaire d’un syndicat d’employés du gouvernement. Or, la Sécurité publique a requis ses services pendant la crise parce qu’il avait travaillé sur d’autres crises comme Mégantic, les feux de forêt, les inondations… Mais c’est cette crise-ci qu’il a trouvée la plus intense.
De 600 à 60 000 appels
Comme responsable de la ligne 1-877644-4545 sur la COVID-19, Serge Bouchard a vécu au téléphone ce que Martin Boucher a vécu sur le Web. « Le jeudi 12 mars, on avait à peu près 600 appels ; le lendemain, on est passés à 60 000 appels. »
Le 13 mars, en conférence de presse, un journaliste interpelle le PM parce que la ligne n’était plus accessible. « Je ne pensais pas que mon cellulaire pouvait recevoir autant d’appels à la fois. Tout le monde m’appelait en même temps pour me dire que c’était planté. » Heureusement, quelqu’un dans l’équipe trouve une solution « un peu gossée avec de la broche, si vous me pardonnez l’expression ». Mais ça a permis de « repartir la machine quelques heures » le temps de trouver une « solution permanente », raconte-t-il.
Au rythme où les choses évoluaient, il fallait aussi constamment mettre à jour les « réponses vocales interactives » [«Si vous parlez français, faites le 2 », par exemple]. « Les gens qui développent ça devaient travailler la nuit. »
Le déluge a aussi donné lieu à des moments cocasses. « Il y a des gens qui appelaient pour parler au Dr Arruda, le remercier ou lui donner des conseils ! Il y en a qui avaient des idées pour soigner le monde. » Au retour du beau temps, des centaines de personnes ont appelé pour poser des questions… sur les pneus d’hiver. « Pendant deux jours, on recevait des appels là-dessus. Ce qui nous a sauvés, c’est que M. Legault a fini par annoncer la réouverture des garages. »
Il fallait qu’au jour un, on soit fonctionnels en télétravail, tout le monde […] On ne pouvait pas se permettre d’avoir une interruption d e services. MAUDE AMIOT-TREMBLAY