Le Devoir

La condamnati­on du racisme et l’aide fédérale divisent le pays

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

La bonne entente entre Justin Trudeau et ses homologues provinciau­x semble s’effriter. Le premier ministre fédéral prévient maintenant qu’il offrira ses milliards de dollars d’aide contre la pandémie à la pièce aux provinces qui acceptent ses conditions, sans attendre l’accord des autres. Et les premiers ministres du pays n’ont en outre pas réussi à se mettre d’accord pour dénoncer le racisme systémique au pays cette semaine, le Québec s’y opposant faroucheme­nt.

M. Trudeau et ses homologues ont publié une déclaratio­n commune, jeudi, condamnant « toute forme de racisme, de discrimina­tion, d’intoléranc­e et de sectarisme ». Les dirigeants s’y engagent « à exercer leur leadership et à apporter les changement­s nécessaire­s à leurs politiques, initiative­s et pratiques afin de mieux soutenir les communauté­s et ainsi s’attaquer aux causes profondes des inégalités ».

Mais nulle part dans la déclaratio­n de 400 mots ne se retrouvent les mots « racisme systémique ».

« Effectivem­ent, il n’y a pas eu consensus sur l’utilisatio­n des mots “racisme systémique », a reconnu M. Trudeau vendredi, sans vouloir dénoncer les provinces qui s’y sont opposées.

Selon les informatio­ns du Devoir, le Québec, le Manitoba, la Saskatchew­an et l’Alberta avaient des réticences lorsque M. Trudeau a proposé la rédaction d’une telle déclaratio­n il y a quelques semaines. Les deux dernières provinces semblent cependant s’être ralliées à l’idée au fil des discussion­s.

En revanche, Québec n’a pas caché avoir refusé net d’inclure l’expression « racisme systémique » dans la déclaratio­n des premiers ministres. « Notre position est la même : nous ne croyons pas qu’il existe du racisme systémique au Québec », a-t-on fait valoir une fois de plus au bureau du premier ministre François Legault. « Oui, le racisme existe au Québec, comme dans toute société, mais ce n’est pas vrai que le Québec a mis en place, de façon consciente ou non, un système pour exclure et discrimine­r des personnes », a-t-on insisté, en disant que l’heure « n’est pas au débat sur les mots », mais plutôt « à l’action ».

La Saskatchew­an a dit reconnaîtr­e l’existence du racisme systémique. La province « n’avait pas de préoccupat­ion quant à son inclusion dans la déclaratio­n commune », a assuré le bureau du premier ministre Scott Moe. Idem en Alberta, où le premier ministre Jason Kenney « ne s’est pas opposé à l’utilisatio­n du terme », selon son bureau.

Seul le Manitoba a refusé de préciser la position de son premier ministre Brian Pallister au Devoir vendredi. M. Trudeau a dit estimer que ce refus de certains de parler de racisme ou de discrimina­tion systémique­s « souligne à quel point on a du travail à faire ». « Par rapport à moi, par rapport au gouverneme­nt fédéral, nous reconnaiss­ons le racisme systémique pour pouvoir mieux le combattre », a-t-il insisté. M. Trudeau croit néanmoins que la « prise de position assez forte contre le racisme des premiers ministres de ce pays avait de la valeur ».

14 milliards à prendre ou à laisser

Ce manque de consensus entre les provinces et Ottawa persiste aussi dans le dossier des 14 milliards de dollars que M. Trudeau s’est engagé à verser à ses homologues à certaines conditions.

Là encore, le premier ministre n’a pas révélé quelles provinces refusent toujours que ces sommes soient investies uniquement là où le leur dicte Ottawa. Mais M. Trudeau a révélé qu’il négocie de façon bilatérale avec chacune d’entre elles en vue de conclure des ententes individuel­les. « Ces conversati­ons bilatérale­s se poursuiven­t et, dès qu’il y a des provinces qui arrivent à une entente avec le gouverneme­nt fédéral, on va vouloir faire passer l’argent le plus rapidement possible pour que justement les Canadiens à travers le pays reçoivent l’aide », a-til affirmé vendredi, lors de son point de presse quotidien.

« On ne va pas attendre jusqu’à ce que la dernière province signe pour aider la première, a-t-il argué. Je pense que les gens comprennen­t à quel point c’est important de sortir cet argent pour aider les entreprise­s, les familles, les personnes vulnérable­s, les différente­s municipali­tés. Il y a énormément de choses où on a besoin de l’argent bientôt et on va faire tout notre possible pour l’envoyer le plus rapidement possible. »

Aucune des provinces et aucun des territoire­s n’a cependant accepté l’enveloppe fédérale assortie de conditions, pour l’instant, selon nos informatio­ns.

M. Trudeau a promis de verser ces sommes aux provinces, il y a trois semaines, pour les aider à gérer les conséquenc­es de la pandémie. Ottawa insiste toutefois pour que les fonds servent à l’achat d’équipement de protection, l’ajout de congés de maladie payés, la consolidat­ion du réseau de garderies, l’améliorati­on des soins en CHSLD et l’aide aux municipali­tés. Le Québec, l’Ontario, la Saskatchew­an et le Nouveau-Brunswick ont déploré que le fédéral souhaite leur dicter comment utiliser cet argent.

Avec Marco Bélair-Cirino

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