Distanciation à géométrie variable
Le confinement post-hivernal observé entre quatre murs beiges semble déjà lointain. Le compte des décès pique du nez au Québec, donnant à penser que le virus s’est ménagé des vacances. Les vestes tombent, le masque aussi. Les deux mètres de distance fondent chaque jour un peu plus au soleil. C’est à se demander si les Québécois prennent encore leurs précautions.
Dans son bilan des 100 jours de la pandémie, le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, s’inquiétait cette semaine de voir la population baisser la garde. « Je sens un relâchement qui me préoccupe beaucoup », déplorait-il au lendemain d’un week-end de liesse qui a prouvé que la peur du virus de certains Québécois est non seulement soluble dans l’alcool, mais aussi dans les eaux vives de Lanaudière.
Dans l’attente d’un vaccin, les mesures de prévention font gagner du temps et demeurent la seule prescription possible, martèlent les experts.
Or, une virée non scientifique réalisée par Le Devoir dans plusieurs commerces de la métropole en milieu de semaine démontre que l’adhésion aux gestes de prévention est à géométrie variable, tout comme les deux mètres de distance. Tous lieux confondus, moins du tiers des personnes croisées en milieux fermés portaient un couvre-visage.
Deuxième vague à la mi-juillet ?
Selon Benoît Mâsse, épidémiologiste à
l’École de santé publique de l’Université de Montréal, la baisse de vigilance actuelle pourrait ouvrir la porte à l’émergence d’une deuxième vague aussi tôt qu’à la mi-juillet. Maintenant que l’isolement est chose du passé, le nombre de contacts « non protégés » dans la population est à la hausse et scellera la suite de notre relation houleuse avec le SRAS-CoV-2.
Avant le confinement, on recensait chez les Québécois en moyenne 12,2 contacts sociaux (famille, école, travail, transport, loisirs) à moins de deux mètres par semaine, selon des chiffres de l’INSPQ. Seulement au travail, on comptait en moyenne 10 contacts étroits par jour chez les employés. Le confinement a permis de réduire ce nombre à quatre.
« Depuis le déconfinement, il faut voir si on est remontés à 8 ou 10 contacts, ou 12. Même à 8 contacts étroits, c’est sûr qu’on aura une deuxième vague, estime cet expert. Dans les milieux fermés, c’est là que ça se passe. Il faut redoubler de prudence dans une foule. Ça veut dire masque et lavage de mains, à l’entrée comme à la sortie. Or plein de commerces n’offrent le désinfectant qu’à l’arrivée. »
« On recommence à voir des cas positifs chez des gens qui n’ont aucune idée où et comment ils ont été infectés. C’est clair que, juste dans des commerces et d’autres lieux clos, il y a des contacts assez prolongés pour générer des infections », observe la Dre Caroline QuachThanh, pédiatre et microbiologiste au CHU Sainte-Justine.
Si 50 % des personnes portaient le masque en public, le facteur R (le taux de reproduction du virus) pourrait être maintenu à moins d’une contamination par personne infectée. Cette mesure est 50 % plus efficace que si le masque n’est porté que par les personnes malades, estiment des chercheurs de l’Université de Cambridge.
Mais, dans plusieurs esprits, le port du masque, ou son rejet, est devenu au fil des semaines autant une posture politique qu’un désagrément inutile plutôt qu’une prescription de santé publique.
La pointe de l’iceberg
Selon les premières données de l’étude CONNECT réalisée par le Groupe de recherche en modélisation mathématique et en économie de la santé liée aux maladies infectieuses du Centre de recherche du CHU de
Depuis le déconfinement, il faut voir si on est remontés à 8 ou 10 contacts, ou 12. Même à 8 contacts étroits, c’est sûr qu’on aura une deuxième vague. Dans les milieux fermés, c’est là que ça se passe. Il faut redoubler de prudence dans une foule. BENOÎT MÂSSE
Québec-Université Laval, 19 % des Québécois auraient porté un couvrevisage en avril (dans la semaine précédente), un taux qui aurait grimpé à 41 % en mai. À Montréal, ce serait le cas de 46 % des répondants, et le taux est de… 28 % ailleurs au Québec, selon des données partielles* obtenues par Le Devoir. Un portrait qui contraste avec ce que nous avons observé cette semaine sur le terrain.
« Si tout le monde portait un masque, on pourrait s’éviter une deuxième vague », pense la Dre QuachThanh, qui déplore que le couvrevisage ne soit pas encore obligatoire.
La recrudescence fulgurante des infections aux États-Unis — 41 000 nouveaux cas en une seule journée cette semaine — et dans d’autres pays où le déconfinement s’est amorcé avant le Québec devrait nous servir d’alarme, estime Benoît Mâsse.
Selon ce dernier, l’insouciance de certaines personnes face au masque n’est que la pointe de l’iceberg. « Ces gens sont probablement aussi laxistes sur le lavage des mains et la distance physique, et ils ne se sentent ni à risque ni concernés », estime-t-il. Si rien ne change, un reconfinement, partiel ou localisé, n’est pas à exclure, selon lui.
« Des personnes agissent comme si c’était le retour à la vie normale. Or plusieurs personnes sont encore confinées. On n’est pas égaux dans le déconfinement, déplore l’épidémiologiste. Le public doit comprendre que la vie de beaucoup d’autres personnes est encore affectée et dépend encore de notre comportement. »
*Sondage réalisé auprès de 546 Québécois sélectionnés aléatoirement parmi la population générale entre le 21 avril et 20 mai 2020.