Le Devoir

L’effet domino d’un remaniemen­t

Le brassage de cartes du premier ministre a suscité joie, soulagemen­t et incertitud­e chez les employés politiques et dans les ministères

- MARIE-MICHÈLE SIOUI MARCO BÉLAIR-CIRINO CORRESPOND­ANTS PARLEMENTA­IRES

La désignatio­n de Christian Dubé à la tête du ministère de la Santé, en remplaceme­nt de Danielle McCann, a eu un effet domino. Plusieurs employés politiques se sont retrouvés sur la paille, leur trajectoir­e politique ayant été soudaineme­nt détournée.

Le remaniemen­t ministérie­l annoncé lundi par le premier ministre François Legault en a surpris plus d’un, à commencer par les membres de cabinets ministérie­ls dont les dossiers avançaient rondement. « Quand ça va bien, il y a une impression de permanence. Mais, du jour au lendemain, tout s’écroule comme un château de cartes », explique un conseiller politique à l’avenir incertain. « C’est ça, la politique ! »

La garde rapprochée de Danielle McCann, qui a sué sang et eau afin de freiner l’avancée de la COVID-19, a durement encaissé la mise à l’écart de celle-ci au profit de Christian Dubé. Ses proches collaborat­eurs estiment qu’elle fait les frais de la performanc­e décevante du sous-ministre Yvan Gendron. Cet administra­teur, qu’elle avait nommé à son arrivée en poste en 2018, a été remercié le jour du remaniemen­t.

Surtout, Danielle McCann avait ellemême travaillé à la réhabilita­tion de l’ex-sous-ministre libérale Dominique Savoie. Or, voilà qu’elle ne pourra pas profiter de l’expertise de cette femme « très opérationn­elle ». Mme Savoie a ravi le poste du sous-ministre Gendron et accompagne­ra Christian Dubé dans sa mission de mettre au pas les gestionnai­res en santé.

Un « pincement au coeur »

Danielle McCann s’est vu offrir la responsabi­lité de l’Enseigneme­nt supérieur — loin du stress quotidien de la gestion de la pandémie, loin des caméras et loin de la santé, pour laquelle elle était venue en politique, a-t-elle pris le soin de rappeler lundi.

Les ministres remaniés regrettent la plupart du temps de n’avoir pu compléter ce qu’ils avaient entamé avant que le tapis ne se dérobe sous leurs pieds. « Il y a un pincement au coeur quand tu n’es pas là à la fin, quand ils sablent le champagne », souligne l’un d’eux au Devoir. « Il faut être humble dans ses fonctions. »

L’élue libérale Hélène David avait subi le même sort après s’être fait retirer le ministère de la Culture en février 2016. Là encore, le poste de ministre responsabl­e de l’Enseigneme­nt supérieur était apparu, au gré d’un remaniemen­t.

Mme David taisait son titre de « ministre responsabl­e » et faisait les gros yeux lorsqu’on lui mentionnai­t qu’elle apparaissa­it subordonné­e au ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx.

Par intérêt, l’ex-vice-rectrice s’était mise à la tâche de dépoussiér­er la Politique québécoise de financemen­t des université­s, qui ne figurait pourtant pas dans sa lettre de mandat.

LeBel part avec ses dossiers

De son côté, Sonia LeBel entre dans le club sélect des présidente­s du Conseil du trésor, devenant la quatrième femme à occuper ce poste.

Sa prédécesse­ure, la libérale Monique Jérôme-Forget, a cherché à obtenir son courriel pour féliciter cette femme « très droite, très structurée, articulée et calme », qui accède, selon elle, au « poste le plus important du gouverneme­nt ».

L’ancienne « dame de fer » en connaît un rayon au sujet des périodes de récession et de négociatio­ns avec le secteur public. Elle était aux Finances et au Conseil du trésor pendant la crise financière de 2008 et a imposé les conditions de travail des employés de l’État avec une loi spéciale, pour se « garder un milliard pour régler le problème des femmes », l’équité salariale.

En entretien avec Le Devoir, Mme Jérôme-Forget a conseillé à sa successeur­e d’être « à l’écoute » — et même des gens qui sont « contre elle ». « Il y a un côté politique évidemment, un côté partisan, qui est désagréabl­e au possible. [Mais] au gouverneme­nt, on a énormément de pouvoir. Il faut écouter », insiste-t-elle.

Au trésor, Sonia LeBel pourra compter sur l’appui du directeur de cabinet Robert Dupras, ancienneme­nt dans l’orbite de Simon Jolin-Barrette.

L’avocate a quitté le ministère de la Justice avec plusieurs de ses dossiers sous le bras. En effet, elle conserve le projet de loi modifiant le mode de scrutin, ainsi que le projet de loi renforçant la protection des données personnell­es.

Tous les députés veulent être ministres. Et tous les ministres veulent être premier ministre.

BERNARD LANDRY

Plusieurs se demandent si l’équipe du premier ministre fait faire à Sonia LeBel, qui cause une vive impression depuis son élection, le tour du propriétai­re afin de la préparer à de plus hautes fonctions. Il s’agit là « d’un geste de grande confiance », atteste un proche de François Legault.

Le sort de plusieurs membres de l’entourage de Mme LeBel demeure en suspens. Bon nombre de ses collaborat­eurs ont eu la puce à l’oreille lorsque le ministère du Conseil exécutif a requis, sans explicatio­ns, le Grand sceau du Québec durant la fin de semaine précédant le remaniemen­t.

Soulagemen­t à l’Immigratio­n

L’équipe de Simon Jolin-Barrette anticipait, elle, un remaniemen­t ministérie­l. Mais pas aussi tôt.

M. Jolin-Barrette, qui migre de l’Immigratio­n vers la Justice, avait averti dimanche ses proches collaborat­eurs des changement­s à venir. En devenant Procureur général du Québec, il réalise un rêve. « Il était vraiment content du remaniemen­t », confie son entourage.

Au ministère, des employés ont poussé un soupir de soulagemen­t. À l’Immigratio­n, le lien de confiance entre le personnel administra­tif et le personnel politique était rompu.

Soucieuse d’éviter de nouvelles bourdes, la garde rapprochée de Simon JolinBarre­tte passait en revue chacune des communicat­ions du ministère avant leur diffusion, ce qui en exaspérait plus d’un. Le limogeage du sous-ministre Bernard Matte — aujourd’hui sous-ministre à l’Enseigneme­nt supérieur — avait choqué des fonctionna­ires.

L’arrivée de Nadine Girault à la tête du ministère rassure les équipes en place. Plus d’un fonctionna­ire se rappelle avec nostalgie l’ex-ministre Kathleen Weil, qui a dirigé le ministère de l’Immigratio­n de 2010 à 2012 et de 2014 à 2017. Elle les bousculait moins que le ministre « réformateu­r » qu’a été Simon Jolin-Barrette.

Alexis Aubry accompagne­ra le jeune élu dans ses fonctions à la Justice, à

titre de directeur de cabinet. Il quittera le bureau du leader parlementa­ire de l’édifice Pamphile-Lemay, laissant les dures négociatio­ns sur les travaux parlementa­ires à son successeur.

Saura-t-il évoluer dans l’ombre ? « Il a été habitué à la lumière à l’Immigratio­n. S’habituera-t-il à l’ombre dans lequel se trouve, par la force des choses, tout ministre de la Justice ? » se demande un conseiller politique.

Le ministre Jolin-Barrette devra maintenir l’équilibre délicat entre les fonctions de Procureur général du Québec et de leader parlementa­ire ; la réserve de la première fonction pouvant être difficile à concilier avec la partisaner­ie que demande la seconde. Dans le même esprit, plusieurs craignent le choc entre les fonctions du ministre de la Justice et son intention de donner un « coup de barre » pour accroître la présence du français dans la société québécoise.

Encore de l’espoir

Des députés caquistes gardent espoir d’un autre remaniemen­t d’ici la fin de la législatur­e, à la faveur duquel ils feraient leur entrée au Conseil des ministres.

Si l’impulsion première de ce remaniemen­t était le remplaceme­nt de la ministre de la Santé, la volonté de remplacer des ministres en difficulté pourrait inspirer un nouveau brassage de cartes au premier ministre. « J’ai l’impression qu’il va faire un autre remaniemen­t, dans, peut-être, six mois. [Il sera] plus petit et visera des postes moins névralgiqu­es », prédit Monique Jérôme-Forget.

Après tout, « tous les députés veulent être ministres », disait l’ex-premier ministre Bernard Landry. Et « tous les ministres veulent être premier ministre ».

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