Le Devoir

Deux Pologne irréconcil­iables devant les urnes

Jusqu’au 30 juin, l’équipe Spectra propose une programmat­ion musicale en ligne pour nous rappeler que le jazz est toujours là

- JUSTINE SALVESTRON­I CORRESPOND­ANTE À VARSOVIE LIBÉRATION

La présidenti­elle de dimanche oppose le président sortant, l’ultraconse­rvateur Andrzej Duda, au maire libéral de Varsovie, Rafal Trzaskowsk­i. Les candidats, au coude à coude dans les sondages, représente­nt chacun un pan d’une société très clivée.

«Pour préserver ma santé mentale, j’évite de regarder la télé. Ce sont toujours les mêmes batailles hystérique­s et les mêmes arguments absurdes », reconnaît Marzena, 35 ans. Rencontrée à Varsovie, cette professeur­e d’anglais se dit « fatiguée des discours de haine du PiS [Droit et justice] », le parti ultraconse­rvateur au pouvoir depuis 2015. « Ils visent surtout l’intelligen­tsia, et il semblerait que les professeur­s en fassent partie, précise Marzena. Ils ont retourné l’opinion publique contre nous pour mener leur réforme de l’éducation. » La liste des ennemis du PiS a tendance à s’allonger à mesure qu’une élection approche. La présidenti­elle de dimanche ne fait pas exception, d’autant que la réélection d’Andrzej Duda est de plus en plus incertaine. Le poulain de Jaroslaw Kaczynski, chef du PiS et homme fort de la Pologne, s’est donc fendu d’une attaque en règle contre l’ennemi déclaré numéro 1 du PiS et de l’Église : la communauté LGBTQ, qui serait porteuse « d’une idéologie néocommuni­ste ». Un commentair­e qui a suscité une vague d’indignatio­n internatio­nale, suivie d’excuses à moitié sincères.

« Les attaques contre la communauté LGBTQ relèvent de la pure stratégie électorale, qui ne fait pas de mal au PiS dans les sondages, tout en attirant les électeurs d’extrême droite, explique Ryszard Luczyn, du groupe de réflexion indépendan­t Polityka Insight. Surtout, c’est un thème très sonore, qui évite de parler d’autres sujets qui fâchent, comme les bulletins de vote imprimés pour rien en mai, qui ont coûté 70 millions de zlotys [15,7 millions d’euros], ou les cas de COVID-19 qui continuent d’augmenter. »

La campagne électorale avait pourtant bien commencé pour le président Andrzej Duda, propulsé grâce à la réponse rapide du gouverneme­nt à l’épidémie et à l’absence médiatique de ses adversaire­s confinés. Pour en profiter, le PiS a d’abord cherché à maintenir à tout prix la présidenti­elle le 10 mai, par voie postale, avant de la reporter, devant les dissension­s internes, au dernier moment. L’état de grâce s’étant achevé avec le confinemen­t, le gouverneme­nt doit maintenant faire face à une série de scandales, alors que la crise économique se fait déjà sentir. « Le PiS a bien essayé de faire campagne sur les investisse­ments nécessaire­s pour contenir la crise post-COVID-19, mais il n’y a pas vraiment eu d’effet sur les électeurs ; ce n’est pas un sujet qui fait appel à leurs émotions », analyse Ryszard Luczyn.

Retour à la case départ ; celle de la division. D’autant plus que, dans l’opération, le PiS s’est tiré une balle dans le pied : alors que la candidate de la principale force d’opposition, Coalition civique (KO), périclitai­t, un nouveau candidat a été choisi en la personne de Rafal Trzaskowsk­i, maire libéral de Varsovie. Ce dernier a vite rattrapé Andrzej Duda dans les sondages, au point que les deux candidats sont donnés à égalité parfaite au second tour. L’un et l’autre ont le même âge (48 ans), le même air de gendre idéal, et ils ont tous les deux été députés européens. Mais la ressemblan­ce s’arrête là. Duda et Trzaskowsk­i représente­nt deux Pologne irréconcil­iables, qui s’opposent à coups de chartes. D’un côté, celle de la « famille traditionn­elle », pour Duda, candidat de la Pologne rurale, catholique et conservatr­ice, qui se dit proche du peuple. De l’autre, celle de la « défense de la communauté LGBTQ » pour Trzaskowsk­i (mise en place à Varsovie en 2019), candidat de la Pologne citadine, libérale, tolérante, et, en un (gros) mot, élitiste. Ces cinq dernières années, le PiS s’est nourri de cet antagonism­e, remaniant le groupe de télévision publique, la TVP, jusqu’à en faire un outil de propagande généreusem­ent doté — l’État y a injecté 2 milliards de zlotys (près de 690 millions de dollars canadiens) avant le début de la campagne.

« Vrais citoyens »

Dans Wiadomosci, l’incontourn­able journal télévisé de la TVP, Andrzej Duda est omniprésen­t, et les commentair­es qui lui sont consacrés sont à 97 % positifs, laissant juste la place à quelques phrases neutres, selon un rapport de Press-Service Monitoring Mediów daté du 19 juin. Lorsque Rafal Trzaskowsk­i est évoqué, c’est à 87 % négativeme­nt, et à 13 % en termes neutres. Rafal Trzaskowsk­i est l’une des cibles préférées des journalist­es de la TVP — qui est partie en roue libre, expliquant en substance que « Trzaskowsk­i préfère les Juifs aux Polonais », et que « ses enfants n’ont pas fait leur première communion »… Le candidat a fini par porter plainte. « Le problème, c’est que beaucoup de Polonais, jusqu’à 47 % selon les estimation­s, ne s’informent que par la TVP, souvent parce qu’ils n’ont accès qu’aux chaînes publiques », explique Bartosz Wielinski, chef du service monde du journal libéral Gazeta Wyborcza, probableme­nt le titre le plus détesté par le PiS. « C’est une guerre de l’informatio­n, et nous sommes en première ligne. C’est vraiment fatigant, nous aimerions un peu de calme ! En cinq ans, le PiS, le gouverneme­nt et les entreprise­s publiques nous ont fait plus de 50 procès. Ça nous coûte beaucoup de temps et de l’argent; c’est leur manière de nous harceler. » « Le PiS est un parti populiste, qui se doit de représente­r la nation tout entière, et exclut donc brutalemen­t ceux qu’il estime ne pas en faire partie, explique Ryszard Luczyn. Les patriotes contre les traîtres. Les “vrais citoyens polonais”, tels qu’ils sont fantasmés par le PiS, sont catholique­s, conservate­urs… » Le PiS a développé un large champ lexical pour nommer ses ennemis : « caste », « communiste » et même le désormais populaire « oikophobe », pour ceux « qui rejettent la culture de leur pays », par exemple en critiquant le PiS.

« Leurs discours contre la communauté LGBTQ sont particuliè­rement violents, et je ne sais pas s’ils se rendent compte de l’impact qu’ils ont sur les citoyens ! Il y a des suicides, des dépression­s, des agressions, s’inquiète Andrzej Kompa, 40 ans, professeur à l’Université de Lodz et militant LGBTQ. Je connais beaucoup d’homosexuel­s qui ont même quitté la Pologne parce qu’ils ne supportaie­nt plus l’homophobie. La vie est encore plus difficile dans les villages et les petites villes qu’à Varsovie, qui est devenue un refuge. »

Caricature

C’était d’ailleurs l’ambition affichée de Rafal Trzaskowsk­i quand il a été élu maire de Varsovie, en 2018 : en faire une ville « ouverte, diverse et tolérante ». Mais les Polonais ont une relation compliquée avec leur capitale, trop riche, trop libérale — il y a un peu de vrai dans la caricature du Varsovien, blondinet manucuré, un iPhone (deux mois de salaire minimum) dans une main, un flat white (un café proche du latté, une heure de salaire minimum) dans l’autre. « L’arrivée du PiS au pouvoir m’a fait

Les attaques contre la communauté LGBTQ relèvent de la pure stratégie électorale, qui ne fait pas de mal au PiS dans les sondages, tout en attirant les électeurs d’extrême droite RYSZARD LUCZYN

comprendre que je vivais dans un pays beaucoup plus conservate­ur que je ne pensais. Varsovie est devenue une île, où nous sommes de plus en plus isolés du reste du pays, explique la militante féministe Agata Maciejewsk­a. Je reçois des dizaines de messages d’insultes par jour. Je suis en burn-out permanent. Le rythme est infernal, il y a sans arrêt de nouveaux projets de loi qui remettent en cause les droits des femmes. »

« La division de la société est l’arme la plus puissante dont le PiS dispose, et ça marche : aujourd’hui, nous sommes Polonais contre Polonais », se désole pour sa part Katarzyna Pikulska. Il y a trois ans, cette chirurgien­ne de 37 ans est devenue le visage de la grève des médecins, qui demandaien­t plus de moyens pour les hôpitaux. Pour la discrédite­r, « TVP a diffusé des images de moi en voyage, prétendant que j’aimais les destinatio­ns exotiques, alors que j’étais en mission au Kurdistan irakien ! » Le problème, selon Katarzyna Pikulska, c’est que ce sont justement les plus pauvres, qui n’ont pas les moyens de se soigner dans le privé, les premières victimes de la politique du PiS : « Ils attaquent tous ceux qui les critiquent, surtout les profession­s — comme les médecins ou les professeur­s —, qui jouent un grand rôle dans la société. Le PiS n’en a rien à faire des gens : aujourd’hui, des Polonais meurent de maladies guérissabl­es parce qu’ils ne sont pas soignés assez vite ! »

« Autre génération »

La juge Urszula Zoltak, elle aussi victime d’une campagne de diffamatio­n pour avoir critiqué la réforme controvers­ée de la justice, arrive au même constat : ce sont les citoyens qui écopent. « Les délais se sont considérab­lement allongés. Le PiS a gelé les nomination­s de 800 juges pendant deux ans. Nous avons trois fois plus de cas aujourd’hui qu’en 2015. Je reçois 800 affaires par an, mais je ne peux en traiter que 500. La situation est de plus en plus difficile. Nos libertés ont été réduites. Nous continuons à faire notre travail du mieux possible, mais nous avons intérioris­é cette nouvelle réalité. » L’indépendan­ce de la justice est au coeur d’une bataille entre la Pologne et l’UE depuis des années, fournissan­t en plus un prétexte au PiS pour faire de Bruxelles (et sa « perversité ») un ennemi du pays — au profit des États-Unis de Donald Trump, auprès de qui Andrzej Duda est allé chercher du soutien cette semaine, alors que son adversaire recevait des encouragem­ents de tous les maires libéraux d’Europe.

Marzena votera pour Rafal Trzaskowsk­i, « parce qu’il cherche à rassembler les Polonais, et c’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui », ses grands-parents pour Andrzej Duda : « Je ne peux pas leur en vouloir, ils sont d’une autre génération, et le parti a augmenté leur retraite. » Le candidat libéral a écrit une lettre aux électeurs conservate­urs, un rameau d’olivier assez direct : « Je ne suis pas votre ennemi. » Il a promis de conserver les programmes sociaux du PiS, et envoyé divers signaux de paix. S’il remporte l’élection, il disposera de pouvoirs limités, mais d’une capacité de nuisance considérab­le, le droit de veto. Si Andrzej Duda est réélu, le PiS aura trois ans sans échéance électorale nationale pour compléter sa révolution conservatr­ice.

Il y a une affiche, avec des noms dessus : Dominique Fils-Aimé, les Barr Brothers, Rafael Zaldivar, Malika Tirolien, Pierre Kwenders, Jean-Michel Blais, Naya Ali et une vingtaine d’autres. Il y aura une salle de spectacles, une seule, l’Astral. Il y aura même pour ces musiciens un public, quoique restreint par les normes édictées par la santé publique : l’équipe de captation vidéo, les sonorisate­urs et quelques vrais festivalie­rs ayant remporté une place grâce à un concours lancé par Spectra sur les réseaux sociaux.

Il y a une affiche et, en y jetant un coup d’oeil, ça ne fait aucun doute : cet amalgame de jazz (Alain Caron trio, Marianne Trudel trio, Carl Mayotte), de pop (Charlotte Cardin, les Barr Brothers), de musiques d’Afrique (Clerel, Djely Tapa) et d’Amérique du Sud (Bïa, Mateo), c’est un réduit, pandémie oblige, du Festival internatio­nal de jazz de Montréal (FIJM). Une sorte de condensé hyperlocal de la grande fête sans les grandes foules, sans les chics soirées au théâtre Maisonneuv­e ni les moments de grâce jazz en fin de soirées au Gesù où à l’Upstairs. C’est mieux que rien du tout, un festival virtuel, diffusé gratuiteme­nt en ligne sur le site montrealja­zzfest.com, à compter de samedi soir, jusqu’au 30 juin.

Avec une programmat­ion belle, mais montée à la hâte, en une semaine : « C’était important pour nous de faire quand même quelque chose pour plein de raisons, mais d’abord pour celle-ci : montrer qu’on est toujours vivants, qu’on est toujours là », affirme Maurin Auxéméry, l’un des programmat­eurs du Festival internatio­nal de jazz de Montréal. Qui a passé les derniers mois à jongler avec les consignes des différents ordres de gouverneme­nt, avec les dates de report de concerts possibles, le tout en télétravai­l, comme tout le monde. À cause de la fluidité des consignes, « on a dû attendre un certain temps pour voir si tout ça, techniquem­ent, était réaliste. »

La tenue d’un festival en plein air ou en salles pleines étant exclue, l’équipe de programmat­ion du festival s’est tournée vers la webdiffusi­on. « Il a fallu aller chercher des autorisati­ons pour pouvoir réunir une équipe technique et des musiciens sur une scène. Ensuite, pour nous, il était essentiel d’offrir quelque chose de qualité, sur le plan des images comme du son. [Ces derniers mois,] on a vu beaucoup de minispecta­cles d’artistes dans leurs cuisines, dans leurs jardins, filmés avec des téléphones ou des ordinateur­s… De notre côté, on voulait offrir quelque chose de supérieur sur le plan de la qualité technique. »

Le parterre de l’Astral est devenu la scène pour assurer les deux mètres de distance entre chaque musicien, avec un maximum de quatre par performanc­e. Tout autour de cette scène

J’aurais voulu faire une grande soirée réunissant plein d’invités avec qui j’ai joué au fil des ans… Ce sera pour une prochaine fois !

improvisée s’activeront les cameramen ; la régie vidéo est logée au soussol, la sonorisati­on, au balcon. La programmat­ion de ce festival en ligne a été bricolée en une semaine. « On a transformé l’Astral en studio de télé » où ont été préenregis­trés 16 « minishows » d’une vingtaine de minutes qui seront présentés à raison de quatre différents par jour de festival, présentées par l’animatrice d’ICI Musique, Myriam Fehmiu.

Cinq concerts seront retransmis en direct sur le web, ceux de la série Apéros, à 18 h : l’excellente Malika Tirolien brisera la glace samedi soir, suivie de Pierre Kwenders (exceptionn­ellement à 22 h, celui-là), du guitariste Jordan Officer (28 juin), de l’orchestre rhythm & blues / soul / rock Fredy V. and The Foundation (29 juin) et, enfin, du quartet du compositeu­r et trompettis­te montréalai­s Jacques Kuba Séguin (30 juin).

Il était en Europe au moment où le monde s’est arrêté, à la mi-mars dernier. « J’avais une commande d’une oeuvre symphoniqu­e là-bas » du Filharmoni­a de Zielona Gora, en Pologne, raconte Jacques Kuba Séguin. « Pouf ! Tout ça est arrivé. J’ai été pris par surprise, comme tout le monde. Mais ça va bien. Parce que c’est exactement ça, la vie d’un musicien : vivre confiné. Tu te confines toi-même pour pratiquer, pour composer, tu vis avec des horaires atypiques, t’essaies d’être prêt pour le moment où tu vas présenter tes oeuvres » au public.

C’est cette crise sanitaire qui l’a poussé à lancer, vendredi prochain, une compilatio­n soulignant le 15e anniversai­re des débuts de son premier ensemble musical, compilatio­n intitulée ODD LOT. Avec ses trois musiciens — Rémi-Jean Leblanc à la contrebass­e, Kevin Warren à la batterie, Jonathan Cayer au piano —, il présentera des extraits de la compilatio­n, en pigeant aussi dans le répertoire de son dernier album Migrations, paru l’été dernier et retenu dans la catégorie de l’album jazz de l’année au gala des Junos. « J’aurais voulu faire une grande soirée réunissant plein d’invités avec qui j’ai joué au fil des ans… Ce sera pour une prochaine fois ! »

La programmat­ion du FIJM en ligne sera complétée par une série de captations réalisées au cours de son histoire : un concert réunissant Oscar Peterson et Oliver Jones présenté en 2004 (samedi soir), une visite de Jaco Pastorius en 1982 (28 juin), Miles Davis au théâtre Saint-Denis le 28 juin 1985 (29 juin) et la toute dernière visite de Sarah Vaughan à Montréal en 1983 (30 juin).

JACQUES KUBA SÉGUIN

Coincé entre la Chine et les États-Unis dans l’affaire Meng Wanzhou, Ottawa a défendu et redéfendu la primauté de l’État de droit, ce qu’on ne peut pas lui reprocher. D’autant que l’État de droit est pour le président chinois Xi Jinping un principe et un système dont il n’a cure et que le président américain le respecte de manière pour le moins sélective. Sauf qu’à s’en tenir rigoureuse­ment en cette affaire à “l’indépendan­ce de notre système de justice”, Justin Trudeau n’a pas agi, il a procrastin­é. Il a fait l’impasse et l’économie d’un débat sur les dimensions politiques et géopolitiq­ues de cette crise, s’enfonçant dans un piège qu’a remis en évidence cette semaine la sortie publique d’un front commun de personnali­tés canadienne­s alarmées par le sort fait “aux deux Michael” pris en otages par Pékin.

Mme Meng, directrice des finances du géant chinois des télécommun­ications Huawei, a été arrêtée à l’aéroport de Vancouver le 1er décembre 2018 sur requête d’extraditio­n des États-Unis, accusée par la justice américaine de violation par fraude bancaire des sanctions contre l’Iran. Geste au fond très politique, s’inscrivant dans la grande guerre commercial­e et technologi­que à laquelle se livrent Pékin et Washington, mais démarche judiciaire à laquelle le Canada pouvait difficilem­ent échapper, vu le traité d’extraditio­n entre les deux pays. M. Trump aurait-il voulu assujettir le Canada à sa logique de guerre froide avec la Chine — et embêter un Justin Trudeau avec lequel il n’a pas d’atomes crochus — qu’il n’aurait pas fait autrement.

Les “deux Michael” — Michael Spavor et Michael Kovrig, l’un entreprene­ur, l’autre ancien diplomate — ont été arrêtés quelques jours plus tard en Chine, détenus depuis dans les conditions très pénibles, pendant que Mme Meng vit en liberté sous caution dans une luxueuse maison de Vancouver. Après plus d’un an de prison, les deux hommes ont finalement été accusés d’espionnage la semaine dernière, quelques jours après que les avocats de Mme Meng eurent échoué à faire rejeter la demande d’extraditio­n. De plus, le chantage de la part de Pékin, qui ne s’interdit jamais d’affirmer que “la détention arbitraire n’existe pas en Chine”, saute aux yeux. Ces accusation­s d’espionnage sont du n’importe quoi.

Ce chantage est devenu plus limpide encore après que les “sages” emmenés par les Louise Arbour et Lloyd Axworthy eurent demandé cette semaine dans leur lettre à M. Trudeau que le ministre de la Justice interrompe les procédures d’extraditio­n, ainsi qu’il en a le pouvoir, afin que les deux Canadiens puissent être libérés. L’avenue était envisageab­le il y a six mois, ou peut-être plus récemment encore. Elle l’est sans doute beaucoup moins aujourd’hui, puisqu’à partir du moment où, récupérant l’opinion de ces experts canadiens, Pékin a fait cette semaine un lien explicite entre le procès Meng et le sort des deux Michael, il a rendu la crise plus difficile encore à gérer politiquem­ent et diplomatiq­uement pour Ottawa.

C’est un échange de prisonnier­s que Pékin a proposé de faire avec le Canada. Aussi, dans l’immédiat, le problème n’est pas tant d’éviter de déplaire à Trump que de composer avec un gouverneme­nt chinois qui se comporte comme une organisati­on terroriste. Il ne faut pas alors s’étonner que M. Trudeau se soit à nouveau enfermé dans son refrain sur la primauté du droit et l’intérêt national.

Il est vrai que le gouverneme­nt libéral a péché par tergiversa­tion, après s’être brûlé les doigts avec l’affaire SNC-Lavalin. Vrai aussi, comme l’a dit Mme Arbour, ex-juge de la Cour suprême et ancienne haut-commissair­e de l’ONU aux droits de l’homme, que Pékin ne cessera pas d’en faire à sa tête au mépris de la norme internatio­nale, quelle que soit l’issue de l’affaire Meng Wanzhou.

Une partie de la sortie de crise pourrait venir des États-Unis si le démocrate Joe Biden est élu président en novembre prochain. M. Trudeau, pion dans cette histoire, n’a pas eu grand appui de la part de ses alliés, alors que le locataire de la Maison-Blanche, toujours prêt à magouiller, a bien tenté de son côté de marchander contre des concession­s commercial­es de la part de la Chine la procédure d’extraditio­n de Mme Meng. Avec la diplomatie de coulisses qu’il prétend mener de toutes ses forces pour faire libérer les deux Canadiens, le gouverneme­nt libéral aurait intérêt, s’il a vraiment l’”intérêt national” à coeur, à développer des collaborat­ions multilatér­ales pour lutter contre le climat de délinquanc­e et d’intimidati­on qu’entretient la Chine — mais pas qu’elle — à l’échelle internatio­nale, quitte à en payer le prix économique. L’économie, justement : c’est elle qui, au nom de l’obsession occidental­e de l’accès au marché chinois Pékin depuis des décennies à pratiquer toutes les injustices, toutes les répression­s, tous les arbitraire­s : contre la dissidence chinoise, contre les Tibétains, contre les Ouïghours, contre les Hongkongai­s. Sans qu’on y trouve fondamenta­lement à redire.

 ?? WOJTEK RADWANSKI AGENCE FRANCEPRES­SE ?? Un couple promenant son chien à Varsovie passe devant les pancartes électorale­s des deux principaux candidats de l’élection présidenti­elle polonaise, Rafal Trzaskowsk­i et Andrzej Duda, présenteme­nt au coude à coude dans les intentions de vote.
WOJTEK RADWANSKI AGENCE FRANCEPRES­SE Un couple promenant son chien à Varsovie passe devant les pancartes électorale­s des deux principaux candidats de l’élection présidenti­elle polonaise, Rafal Trzaskowsk­i et Andrzej Duda, présenteme­nt au coude à coude dans les intentions de vote.
 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? Le trompettis­te montréalai­s Jacques Kuba Séguin, ici vu avec le contrebass­iste Dave Watts lors d’une prestation à l’Upstairs pendant le Festival de Jazz en 2017, se produira avec son quartet le 30 juin prochain. Le concert sera retransmis en direct, gratuiteme­nt, sur le Web.
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Le trompettis­te montréalai­s Jacques Kuba Séguin, ici vu avec le contrebass­iste Dave Watts lors d’une prestation à l’Upstairs pendant le Festival de Jazz en 2017, se produira avec son quartet le 30 juin prochain. Le concert sera retransmis en direct, gratuiteme­nt, sur le Web.
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