Le Devoir

À la défense de Lionel Groulx

- Alexis Tétreault Candidat à la maîtrise en sociologie, UQAM

Ainsi circule une pétition pour débaptiser la station de métro Lionel-Groulx afin de la transforme­r en « station Oscar-Peterson ». Mes hommages au défunt jazzman, mais il s’agit d’une très mauvaise idée.

Ce mouvement déconstruc­tiviste issu de l’anglosphèr­e pénètre actuelleme­nt nos médias, habitués que nous sommes à dérouler le tapis rouge aux idées qui sapent les fondements culturels et politiques du Québec contempora­in. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : abattre un monument intellectu­el dont la pensée a déclenché la transition du Canada français éminemment culturel vers le Québec politique.

Il n’est pas saugrenu de croire, écrivait jadis Jean-Marc Léger, que sans Groulx la Révolution tranquille n’aurait pas été possible. Elle ne lui plaisait pas, cette révolution laïque. Mais elle ne lui plaisait pas comme ne nous plaît pas un projet dont on revendique la paternité, et non pas le produit fini. Il n’en reste pas moins l’architecte.

Homme de son temps

Dans un monde dont l’univers mental est gâté par une dose de présentism­e enfantin, il importe de rappeler un truisme à l’aide d’une formule des plus niaises : Lionel Groulx était un homme de son temps. Un homme dont l’arrivée à la conscience politique s’est opérée au moment où Louis Riel pendait au bout d’une corde.

Le sort du chef métis incarnait alors la hantise par excellence des Canadiens français : celle de disparaîtr­e selon le bon vouloir du Canada fédéral. Lionel Groulx aura vécu l’époque du mépris hautain des Canadians qui ne voyaient en nous qu’une nation arriérée qu’il fallait élever à la dignité anglo-saxonne. Réflexe qui, manifestem­ent et à la vue du très anglophone et anglophile mouvement Black Lives Matter montréalai­s, n’a rien perdu de sa véracité.

Groulx est aussi le contempora­in du Règlement XVII et de deux conscripti­ons. Bref, il fut le spectateur impuissant d’un Canada qui non seulement violait sa propre Constituti­on en empêchant les francophon­es de l’Ontario d’étudier dans leur langue (tiens ! un autre réflexe dont les ramificati­ons ne nous sont pas étrangères), mais qui envoyait de surcroît les Canadiens français mourir pour la couronne britanniqu­e en Europe.

Anachroniq­uement, on dit que Groulx aura été suspicieux à l’égard des minorités. C’est faux. Il a dédié sa vie, son oeuvre, son enseigneme­nt, sa militance à la défense des minorités. Non pas une minorité sexy qui défraie, de nos jours, la chronique en plus d’apporter pain, beurre, miel, foie gras et champagne à nombre de chaires de recherche. Non. Groulx s’est acharné à défendre la minorité francophon­e du Canada en cherchant à l’extirper du carcan minoritair­e qui la condamnait à la dissolutio­n.

Militantis­me

L’oeuvre militante et historique de Groulx pointe dans une seule direction : le besoin de construire un espace politique autonome dans lequel le Canada français pourrait assurer sa pérennité. Iconoclast­e, l’abbé fut le premier à rompre avec la très loyaliste et ultramonta­ine idée que la Conquête fut un « bienfait providenti­el » pour nous. Il qualifiait l’événement de « catastroph­e », y voyant le moment fondateur d’une intentionn­alité bien particuliè­re.

Conquis par l’Empire, le Canada français a pour destin celui de « se dégager de l’étreinte du conquérant, [de] se dégager un peu plus chaque jour, [d’]accroître, d’étape en étape, son autonomie ». De 1760 à 1867, l’histoire groulxienn­e témoigne de cette lutte pour la survivance et l’autonomie politique.

La Confédérat­ion a quant à elle trahi son principe fondateur en plus d’être tiraillée par des vents contraires. C’est pourquoi Groulx anticipe, comme plusieurs dans les années 1920, sa dislocatio­n imminente. Par le truchement d’une lecture nationale de notre histoire, il voit l’érection d’un « État français du Saint-Laurent » comme l’aboutissem­ent logique de « notre avenir politique ».

Était-il indépendan­tiste ? Aucune importance ! L’important est qu’il a associé le sort de la nation canadienne­française au devenir politique du Québec, seule planche de salut de notre vie nationale. Cette idée fut reprise par l’Action libérale nationale de Gouin, par l’Union nationale de Duplessis, par le Parti libéral de Lesage et, évidemment, par le Parti québécois de Lévesque et, plus tard, de Parizeau.

Effacer Groulx ?

La commémorat­ion de la vie et de l’oeuvre de Lionel Groulx est fondamenta­le pour les Québécois contempora­ins que nous sommes. Quelques militants, dont l’ignorance de notre histoire n’a d’égal que leur mépris pour nos devanciers, voudraient nous convaincre du contraire. Avec les mots du militant essentiali­ste qui réduit l’individu à sa couleur de peau, à son sexe, à son orientatio­n sexuelle et à son origine, ils tentent de nous convaincre que le groulxisme n’est que la déclinaiso­n d’une pensée racialiste.

Il ne faut évidemment pas alimenter de telles sornettes et y aller d’une réponse simple, voire simpliste : non ! Non, la présence de Lionel Groulx dans la sphère publique ne nous fait pas rougir. On ne réduit pas un auteur aux quelques préjugés qu’il partageait avec son époque. On juge celui-ci à l’aune de la fécondité de son oeuvre. Voilà pourquoi la présence de Lionel Groulx est irrévocabl­e.

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