Les profs en auront plein les bras à la rentrée
Lettre au ministre Jean-François Roberge
Cher Jean-François Roberge,
Nous nous sommes connus en d’autres temps : j’étais député du Parti québécois de Vachon, vous étiez membre de l’exécutif du PQ dans ma circonscription. Vous voilà ministre de l’Éducation : tout un défi en ces temps inédits, non ? Un défi qui vous aura donné l’occasion de cerner encore plus clairement les besoins de notre réseau scolaire.
La pandémie aura notamment confirmé la très grande fragilité et le manque criant de moyens de nos écoles publiques. Le sort des élèves les plus vulnérables que l’on y aura laissés à eux-mêmes est troublant.
Déjà, en 1991, ces élèves nous préoccupaient beaucoup. Dans Un Québec fou de ses enfants, nous proposions de créer des agents de liaison écolecommunauté. La recommandation se lisait comme suit : embaucher des agents de liaison communautaire de manière à rapprocher les parents et les enseignants des enfants de 6 à 8 ans.
Nous avions en tête surtout les parents de familles plus vulnérables, pour qui, disions-nous, l’école est « l’institution des autres ». Certains de ces parents auront connu l’échec à l’école ; ils se sentent intimidés par l’institution ou entretiennent un ressentiment envers elle. D’autres n’en comprennent pas les rouages, ne sont pas à l’affût de l’information, et d’autres encore auront fait une croix sur l’idée que leur enfant puisse un jour tirer son épingle du jeu à l’école.
Certains éprouvent des problèmes de santé physique ou mentale ou rencontrent des difficultés économiques qui affectent leur capacité parentale. Et des parents plus récemment arrivés au Québec et maîtrisant peu ou mal notre langue commune se tiennent à l’écart.
Toutes les informations disponibles viennent malheureusement confirmer que ce fossé entre l’école et les parents de familles vulnérables existe encore. Ainsi, les enfants de ces familles se retrouvent présentement en moins grand nombre dans les écoles dont on a permis la réouverture.
Cela semble le cas sur tout le territoire québécois ; les sondages faits dans la région métropolitaine laissaient entrevoir les mêmes résultats. Ce sont pourtant ces enfants qui, affirme-t-on, profiteraient le plus d’une reprise de l’école. Leur éloignement prolongé augmente dangereusement le risque d’échec et de décrochage.
Relancer l’école
On vous proposera mille et un moyens de relancer l’école en septembre. Il m’apparaît nettement que la première chose à éviter est de laisser les profs à eux-mêmes devant des enfants qui auront perdu toute trace d’apprentissages si durement acquis. Il faudra aux profs des temps d’ajustement, de réflexion, d’échanges avec leurs collègues et avec les autres professionnels pour seulement arriver à intéresser ces enfants de nouveau à l’école.
Parmi ces enfants, ceux qui auront été laissés complètement à eux-mêmes représentent une très lourde tâche ; y associer leurs parents me semble de la plus grande importance. Rejoindre ces parents, échanger vraiment avec eux, les amener à s’approcher davantage de l’école et de ce que leur enfant y fabrique, tout cela représente un formidable défi même dans des circonstances normales. Le contexte actuel ajoute à la difficulté, on en conviendra. Les profs en auront déjà plein les bras ; ils pourront difficilement remplir cette mission sans aide.
Je vous fais donc une proposition simple, concrète, facile d’application et
Il m’apparaît nettement que la première chose à éviter est de laisser les profs à eux-mêmes devant des enfants qui auront perdu toute trace d’apprentissages si durement acquis
qui pourrait participer en même temps à la restauration de notre réseau d’écoles publiques : créer par centaines des postes d’agents de liaison entre les profs et les familles.
L’idée est de mettre les parents, surtout ceux des enfants les plus vulnérables, dans le coup, de créer un lien fort et sympathique avec les enseignants, de partager les progrès même les plus ténus de leur enfant, de les amener à croire à la réussite de leur jeune et à y participer de toutes les façons possibles.
L’école doit devenir ou redevenir pour ces parents la promesse tenue jour après jour, semaine après semaine, d’une vie meilleure et gratifiante pour leur enfant et pour eux-mêmes. Et il faut les embarquer à bord très rapidement, bien avant que les écoles ouvrent grandes leurs portes. Attendre septembre serait leur envoyer le message que l’on est dans le cours normal des choses. Ce serait une grave, très grave erreur.
La pandémie aura exposé clairement l’écart considérable entre les écoles du réseau ordinaire public, celles du réseau public sélectif et celles du réseau privé. Un ministre de l’Éducation ne peut désormais échapper à cet enjeu. Mais allons d’abord au plus pressant.
À vous de jouer vaillamment.