Le Devoir

Le poème à Réhel

- Jean-Christophe Réhel

Je suis dans une voiture à Brossard Père : Oh ! Regarde vite !

Moi : Quoi ? Père : Tu l’as vu ? Moi : Non ! C’était qui ?

Père : Shea Weber ! Il était juste là dans son gros char !

Moi : Ah ouais ?

Père : Ouais.

Moi : Il était comment ?

Père : Il portait une barbe. Moi : Qu’est-ce qu’il fait à Brossard ?

Père : Il habite ici.

Moi : Comment tu sais ça ? Père : Tout le monde sait ça. Moi : OK.

Père : Plein de joueurs du Canadien habitent à Brossard.

Moi : Comme les Français sur le Plateau ?

Père : Hein ?

Moi : Beaucoup de Français habitent sur le Plateau comme beaucoup de joueurs de hockey habitent à Brossard. Père : Si on veut.

Moi : Peut-être qu’un jour, plein de poètes habiteront dans la même ville.

Père : …

Moi : T’imagines si tous les poètes québécois habitaient à Mirabel ? Père : …

Moi : Je me demande ce que fait P.K. Subban en ce moment. Père : Moi aussi. J’ai vécu un seul bruit : Celui de tes mains

Ça fait deux fois que je me coupe sur le même doigt

Je ne sais pas d’où vient cette blessure

Il y a mon cerveau

Je sais qu’il y a mon cerveau Il vieillit

Je ne voulais pas croire à toutes ses conneries

Le temps passe vite Profites-en Je suis allé dans le passé

J’ai essayé d’arranger les choses J’ai fait d’autres erreurs

Des pires

Des moins belles

Des choses que je n’avais pas calculées

On est mieux de rester ici

On est mieux vraiment de rester ici Le grand drame des ados qui n’ont pas eu de bal de finissants

Ça me laisse froid Comme si on avait des serpents venimeux dans les mains depuis le mois de mars

Comme si on prenait le temps de mettre des petites cravates aux serpents parce que c’est le mois de juin Peut-être une autre fois Peut-être que des coeurs ont été sauvés

Je dois dire que je ne suis jamais allé au bal de finissants

Je dois dire que je finissais mes mathématiq­ues dans un centre d’éducation pour adultes

Je dois dire que je n’ai jamais consulté un psy pour ça

J’ai vécu un seul bruit :

Et je ne portais pas de cravate Et je n’ai jamais été le roi du bal J’aurais pu être la reine bien sûr J’aurais pu sentir tes doigts derrière la fenêtre d’une limousine Mon psy m’aurait encore dit : Ce n’est pas de ta faute Maintenant

Je vieillis

Je perds la vue

Il me faut des foyers pour lire de proche Pépère Réhel le monstre qui ne voit plus clair et qui ne pense pas à la tristesse des finissants

Je vais au DIX30 J’angoisse

Devant la lunetterie un groupe d’adolescent­es se moque de moi parce que je suis le seul être humain à porter un masque à Brossard Elles pourraient me tuer en me toussant dessus

Mais ce n’est pas grave

Je sais que j’ai plus d’argent que toutes ces filles

Je sais qu’elles n’ont pas assez d’argent

Pour s’acheter

Une plus belle robe que moi.

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