Le Devoir

Louis Cornellier

- LOUIS CORNELLIER

Le 17 juin dernier, le Canada a perdu la face sur la scène internatio­nale. Pour la deuxième fois en dix ans, il a essuyé un refus, au profit de la Norvège et de l’Irlande, dans sa volonté d’obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies à titre de membre non permanent. La défaite fait mal. Pendant cinq décennies, de 1948 à 2000, le Canada a été élu six fois au Conseil. En 2010, on pouvait attribuer son échec à la politique étrangère étriquée des conservate­urs de Stephen Harper. Cette fois, cependant, c’est le Canada du soidisant multilatér­aliste et progressis­te Justin Trudeau qui vient de se faire rembarrer.

La sévérité de la gifle n’a pas échappé aux commentate­urs québécois, toutes tendances confondues. Le directeur du Devoir, Brian Myles, a conclu à « un Canada faible » dont la promesse libérale d’un retour sur la scène internatio­nale « n’a pas entraîné de changement­s significat­ifs sur la politique étrangère ».

Dans La Presse, l’éditoriali­ste Alexandre Sirois a parlé d’une humiliatio­n. Le Canada, a-t-il écrit, n’est pas le cancre de l’ONU, mais le gouverneme­nt Trudeau « n’a pas su se hisser à la hauteur de ses propres ambitions ».

Dans Le Journal de Montréal, Loïc Tassé a qualifié la politique étrangère de Trudeau d’idéaliste et de ridicule. « C’est parce que Trudeau demeure au niveau superficie­l des relations internatio­nales, a noté le politologu­e pour expliquer la défaite canadienne. Le reste le dépasse. »

Alec Castonguay, de L’actualité, dans son excellente analyse des raisons de la défaite — campagne tardive, participat­ion insuffisan­te aux missions de l’ONU, budget d’aide internatio­nale famélique, notamment —, a évoqué un message envoyé au Canada. Le pays se croit modèle et important, « un peu comme le chat qui voit un lion dans son miroir », mais les autres nations portent sur lui un jugement sévère.

Bien des Canadiens et des Québécois semblent toutefois s’en soucier comme de l’an quarante. Au pays, en effet, la politique internatio­nale, si elle n’a pas un toupet orange, est souvent négligée et l’ONU, dont on retient surtout les ratés, n’a pas toujours bonne réputation, malgré ses 75 ans d’existence.

Un premier ministre canadien sait que son sort électoral dépend rarement de sa politique étrangère.

Par conséquent, même si, comme l’écrivait récemment le politologu­e Jocelyn Coulon dans Le Devoir,

« depuis une quinzaine d’années, on ne peut pas dire que le Canada brille sur la scène internatio­nale », trop peu de Canadiens et de Québécois s’en inquiètent.

Ils devraient, pourtant. Dans le monde d’aujourd’hui, un pays qui ne tient pas sa place dans les relations internatio­nales se condamne à l’insignifia­nce et à l’impuissanc­e dans la défense de ses intérêts politiques, économique­s, sociaux et culturels.

Même du point de vue de sa politique intérieure, le revers canadien à l’ONU n’est pas sans conséquenc­e. Pays multinatio­nal en panne de références communes, le Canada a longtemps fait la fierté de ses citoyens grâce à son rôle sur la scène internatio­nale. « Le mythe des Casques bleus et du Canada comme acteur impartial et désintéres­sé dans le monde des relations internatio­nales semble avoir permis d’unir le Québec et le reste du Canada », écrivait le politologu­e Jean-François Caron dans Affirmatio­n identitair­e du Canada : politique étrangère et nationalis­me (Athéna, 2014). Or, si le Canada, en ce domaine, se fait damer le pion par de petits pays comme l’Irlande et la Norvège, les Québécois pourraient découvrir que « small is beautiful », même pour jouer dans la cour des grands.

Jocelyn Coulon avait prédit l’échec canadien à l’ONU et il s’en désole parce qu’il connaît l’importance du Conseil de sécurité, « un rouage essentiel dans la gestion et le règlement des conflits ». Dans À quoi sert le Conseil de sécurité des

Nations unies ? (PUM, 2020, 64 pages), un très éclairant opuscule rédigé dans une langue limpide, le politologu­e souligne les imperfecti­ons et défaillanc­es de cette instance — notamment ses échecs actuels en Syrie, au Yémen et en Ukraine, sans oublier les tristes précédents du Rwanda, de la Somalie et de la Bosnie —, mais il insiste néanmoins sur « le caractère remarquabl­e de son action ».

Les opérations de maintien de la paix, accordées par le Conseil de sécurité et menées par les Casques bleus, ont « produit aussi des résultats positifs mesurables et quantifiab­les » dans plusieurs régions du monde en réduisant le nombre de morts chez les civils et les militaires, en prévenant la violence et en aidant à instaurer et à maintenir la paix.

« Le Conseil, conclut Coulon, est au centre du jeu mondial et demeure l’incontourn­able institutio­n qui structure juridiquem­ent et politiquem­ent la vie internatio­nale. » Le Canada, malheureus­ement, est devenu trop insignifia­nt pour y siéger. Ce n’est pas une petite nouvelle.

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