Le Devoir

Noam Chomsky, critique jusqu’au bout

Lux Éditeur publie un recueil d’entretiens de l’intellectu­el de gauche avec Emran Feroz

- CAROLINE MONTPETIT

À 90 ans, Noam Chomsky n’a rien perdu de sa verve en tant que critique de la politique internatio­nale et, plus particuliè­rement, de celle des États-Unis.

L’intellectu­el de gauche vit aujourd’hui à Tucson, où il enseigne à l’Université d’Arizona. C’est là que le journalist­e allemand Emran Feroz l’a rencontré en 2018 pour une série d’entretiens, qui viennent d’être traduits en français sous le titre La lutte

ou la chute !, publié chez Lux Éditeur. Ces échanges portent tour à tour sur l’exterminat­ion des autochtone­s aux États-Unis, sur l’impérialis­me américain en Amérique latine, sur les mouvements de l’économie mondiale, mais aussi sur les changement­s climatique­s et la politique de Donald Trump aux États-Unis.

Le penseur et linguiste de formation y reprend d’entrée de jeu la défense des opprimés et des minorités en parlant de sa région d’adoption, l’Arizona, comme d’un Mexique occupé, faisant référence à la guerre que les États-Unis ont menée dans la région au milieu du XIXe siècle.

« L’exterminat­ion des autochtone­s, dit-il, reste sans doute l’une des pires atrocités de l’histoire de l’humanité. »

S’y ajoute bien sûr l’esclavage. « Peu de gens sont conscients du caractère exceptionn­el et ignoble de l’esclavage américain. De même, peu de gens savent que l’esclavage est aux fondements de la richesse et du développem­ent des États-Unis et de l’Angleterre en particulie­r », dit-il.

Cela étant dit, tout aussi riches et puissants qu’ils soient, les États-Unis n’ont pas le monopole du racisme et de l’exploitati­on. Et Chomsky fait régulièrem­ent des parallèles entre la politique américaine en Amérique du Sud par exemple, et celle de l’Europe en Afrique. « Je pense qu’à plusieurs égards, l’Europe est plus raciste que les États-Unis », dit-il, en évoquant la crise des migrants africains.

« Des êtres humains fuient une Afrique dévastée pour aller en Europe et que fait l’Europe ? »

Reste que Noam Chomsky se fait, en tant qu’intellectu­el américain, un devoir de critiquer d’abord et avant tout la politique des États-Unis. « Assumer sa part de responsabi­lité dans les affaires publiques permet d’évaluer le degré de liberté de la société dans laquelle on vit, avance-t-il. En revanche, on obtient plus en se concentran­t sur les dérives de notre société, notamment dans les régimes plus permissifs. »

Ces entretiens ont évidemment eu lieu avant la crise de la COVID-19. Noam Chomsky y est par ailleurs très critique envers la position du gouverneme­nt Trump quant aux changement­s climatique­s, et les données qu’il avance donnent froid dans le dos. « Prenons par exemple les changement­s climatique­s, la question la plus importante de l’histoire de l’humanité — 40 % des Américains croient que ça n’est pas un problème puisque de toute façon, le Christ va revenir dans les prochaines décennies », dit-il.

« Alors que nous allons bientôt faire face à une tragédie, les États-Unis participen­t à la course à la destructio­n. »

Nourrie de décennies d’observatio­n attentive du monde, la pensée de Noam Chomsky est claire et précise. S’il assume entièremen­t ses prises de position et son rôle de militant, il laisse au bout du compte au lecteur le soin de parfaire ou de construire sa propre idée sur les faits. En ce sens, ce petit livre entre dans le droit fil de la méthode d’autodéfens­e intellectu­elle qui lui est chère et qu’il s’applique depuis longtemps à diffuser.

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HEULER ANDREY AGENCE FRANCE-PRESSE Noam Chomsky
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Noam Chomsky, traduit de l’allemand par Vincent Platini et Aline WiedersLoh­éac, Lux Éditeur, Montréal, 2020, 125 pages
La lutte ou la chute ! Entretiens avec Emran Feroz Noam Chomsky, traduit de l’allemand par Vincent Platini et Aline WiedersLoh­éac, Lux Éditeur, Montréal, 2020, 125 pages

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