Le Devoir

La quête de Kristina GauthierLa­ndry

Qui aime dériver au fil de l’improbable doit s’aventurer sur ces chemins de traverse

- CRITIQUE HUGUES CORRIVEAU

nous brisons le silence / pour nommer / les choses belles », nous précise la poète, et c’est déjà surprenant, et cela fait déjà du bien à l’âme que de savoir encore possible cette ouverture à l’apaisement comme au chagrin. Aucun doute que le ton de ce recueil impose une voix singulière. L’autrice murmure ce qu’elle déshabille du monde, rend palpable sa recherche aléatoire des lieux propices à l’émergence de ses désirs comme à l’apparition de secrets malheurs.

Elle cherche, elle fouine, disponible aux résurgence­s de son monde intérieur ; et quel qu’en soit le poids, lumineux ou obscur, le ton de cette poésie reste porté par une tranquilli­té qui efface les bruits ou les fracas. « toutes les maisons boudent / tournent le dos / à la mer », écrit-elle ; et cette constatati­on si simple en apparence crée tout un paysage. Et de se questionne­r : « mais où est la maison / j’étais pourtant certaine de l’avoir / laissée là ». Ainsi se crée cet univers flou, improbable, évanescent. La perte de repères se nourrit, fragment par fragment, de ces éclats de réel qui apparaisse­nt et disparaiss­ent à l’image de l’incertitud­e de l’existence.

Les souvenirs d’enfance se confondent avec la recherche ou le voyage intérieur, la réalité floue se conjugue aux mots pour la décrire. Parfois, la poète dérive du paysage au langage, les mots devenus tout à coup des faisceaux d’univers : « musquaro /

Elle cherche, elle fouine, disponible aux résurgence­s de son monde intérieur ; et quel qu’en soit le poids, lumineux ou obscur, le ton de cette poésie reste porté par une tranquilli­té qui efface les bruits ou les fracas

makatinau / napetipi / minai-nipi / washicouta­i / pakuashipi / nétagamiou // les plus jolis mots / ne sont pas reliés par la route ».

En ces lieux de bord de mer où s’incarne ce langage, l’autrice témoigne subtilemen­t des précarités quotidienn­es : « cordées sur le quai / on regarde nos pères rentrer la cale comble d’aubes /manquées // et fièrement nous chantons / nos mères sont folles nos mères ont épousé / l’horizon. »

Et, à côté de ce monde en apparence si calme, s’insinue pourtant la violence létale des agresseurs, de nuit comme de jour, là où le « je » des poèmes bascule parfois : « parmi tous les endroits où m’abattre / tu as choisi / la stationser­vice // odeur de ski-doo / mortuaire. » Mais ce qui est clair pour l’autrice, c’est que « dans la constance / il y a une maison / un lieu sûr / où se déposer // souvent des joies nouvelles / un départ le retour des couleurs. »

Sans pourtant atteindre aucun port définitif, deux femmes se retrouvent, fondent un possible ancrage. Le titre du recueil, Et arrivées au bout nous prendrons racine, laisse ouvert l’avenir que sous-tend ce très beau livre. Lauréate des prix Nouvelles Voix 2018 et Geneviève-Amyot 2019, Kristina Gauthier-Landry propose un premier recueil d’une rare richesse, foisonnant de trouvaille­s heureuses qui font s’épanouir une langue amoureuse des mots.

 ?? LA PEUPLADE ?? Lauréate des prix Nouvelles Voix 2018 et GenevièveA­myot 2019, Kristina Gauthier-Landry propose un premier recueil d’une rare richesse.
LA PEUPLADE Lauréate des prix Nouvelles Voix 2018 et GenevièveA­myot 2019, Kristina Gauthier-Landry propose un premier recueil d’une rare richesse.
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Kristina GauthierLa­ndry, La Peuplade, coll. « Poésie », Saguenay, 2020, 128 pages
Et arrivées au bout nous prendrons racine Kristina GauthierLa­ndry, La Peuplade, coll. « Poésie », Saguenay, 2020, 128 pages

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