Le Devoir

Le bonheur est dans la fraise

- RO XANE LÉOUZON | COLLABORAT­ION SPÉCIALE, CARIBOUMAG.COM

« Est-ce que ça te dérange si on marche dans les champs en jasant ? Je vais aller surveiller mes enfants pendant qu’ils tentent d’attraper des grenouille­s. » C’est ainsi que commence mon entrevue avec Josiane Cormier, propriétai­re avec son père et son frère de la ferme Cormier, où la fraise est reine depuis quelques génération­s.

«Les fraises, ça a commencé par ma grandmère, raconte l’agricultri­ce qui porte ce jour-là une camisole sur laquelle figure ledit fruit rouge. Avant, ma famille avait des vaches, que mon grand-père a vendues. »

Notre visite d’une partie du terrain de 85 hectares situé à L’Assomption commence par un arrêt dans les six serres abritant non seulement des fraises d’automne — une variété qui peut aussi pousser au printemps ou à l’été, indifférem­ment de l’ensoleille­ment —, mais aussi des plants de tomates, de poivrons, de haricots, de laitues, de concombres et de framboises, entre autres. La ferme est également reconnue pour ses asperges croquantes et ses activités de cueillette de citrouille­s. C’est que les Cormier n’ont cessé de diversifie­r leur production depuis l’arrivée de leur premier représenta­nt sur cette terre, en 1759.

Alors que nous longeons les champs d’asperges et de fraises hâtives, déjà bien rouges et dodues à la mi-juin, en direction de la fosse aux amphibiens, Josiane garde le contact par walkietalk­ie avec sa progénitur­e, âgée de 8 et 6 ans, et avec ses employés. Elle emploie plus d’une vingtaine de personnes, dont quatre travailleu­rs saisonnier­s du Mexique. L’autocueill­ette d’une douzaine de variétés de fraises, qui a ouvert à la fin juin, est si populaire qu’elle est leur activité principale.

« Certaines sont plus hâtives, certaines plus tardives : ça permet de couvrir une plus longue période. Certaines ont plus de saveur, mais se conservent moins longtemps. D’autres, c’est l’inverse. Certaines réagissent mieux à la chaleur », souligne celle dont la préférée est la très sucrée Wendy, la première à se pointer le bout du nez, au début de juin.

Cette année, toutefois, la COVID19 va compliquer un peu les choses. Les clients cueilleurs devront rester dans la rangée qui leur sera désignée, au lieu de pouvoir gambader partout dans les champs. Il pourrait aussi y avoir de l’attente pour accéder aux cinq hectares de plants de fraises en raison des règles de distanciat­ion physique.

Une histoire de transmissi­on

Au fil de nos pas, nous croisons un walkie-talkie échoué dans l’herbe et des sandales recouverte­s de boue. Josiane signifie à tout le monde que c’est le temps de rentrer. Flanquées de marmots et d’un gros chien mouillé nommé Baloo, nous prenons le chemin du retour.

C’est aux abords de la piscine hors terre familiale que nous poursuivon­s cet entretien. « Je me souviens, petite, de regarder les champs, de me sentir à ma place et de savoir que c’est ça que j’allais faire dans la vie », confie Josiane.

Cette amoureuse des animaux raconte avoir jadis un peu flirté avec l’idée de faire carrière en équitation et en médecine vétérinair­e, pour revenir rapidement à son idée initiale. « Après avoir vendu mon cheval, c’était officiel que j’allais faire des études pour reprendre la ferme. J’ai fait un bac en agronomie à l’Université McGill et quand j’ai fini, j’étais ici à temps plein », rapporte-t-elle.

Ce que Josiane aime de son travail, c’est surtout le contact avec les gens, que lui permet sa production à échelle humaine, et la transmissi­on de son savoir agricole. Et il y a son fruit favori. « Je pourrais manger des quantités hallucinan­tes de fraises par jour sans problème ! rigole-t-elle. Je pense que c’est mon plus grand moment de bonheur de l’année, quand je mange ma première fraise. Il n’y a rien qui peut accoter ça, admet-elle en regardant ses enfants barboter dans l’eau. Et puis, j’ai grandi là-dedans. J’ai des photos de moi, bébé, sur lesquelles je suis littéralem­ent dans les fraises. »

L’amour de Josiane pour ses fruits et légumes est tel qu’elle refuse généraleme­nt de les enduire de pesticides, au point de réduire leur usage à « presque rien ». « Un producteur de grande culture, souvent, ne prend pas de risques et fera le traitement préventif. Nous, en étant diversifié­s, on peut se permettre d’être en réaction. Si l’insecte vient, là on va décider qu’on traite. Et on ne fera jamais de traitement pendant les récoltes », assure-t-elle.

Par ailleurs, la ferme ne perd pratiqueme­nt aucun produit. Ils vendent presque tout aux consommate­urs directemen­t sur place, que ce soit à leur étal ou en autocueill­ette. Quelques épiceries du coin offrent aussi leurs convoitées asperges. Pour ce qui est des surplus, leurs trois cuisinière­s les transforme­nt en ketchup, confitures, potages et desserts.

L’agricultri­ce espère poursuivre les activités de sa ferme pendant des dizaines d’années encore. À son plus grand bonheur, sa fille Floriane démontre beaucoup d’enthousias­me à l’idée de s’occuper un jour de l’entreprise familiale. La tradition pourrait donc se poursuivre pour une neuvième génération.

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FABRICE GAËTAN Josiane Cormier, dans un champ de fraises, où l’autocueill­ette est possible depuis peu
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