Le Devoir

L’ère de l’expériment­ation

- PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON DIOTTE

Aucune industrie au monde ne sera plus touchée durablemen­t par la COVID-19 que celle du tourisme. Les fermetures de frontières risquent de perdurer, tout comme la peur de voyager en avion et de se faire imposer une quarantain­e au retour. Le Québec touristiqu­e n’échappe pas à la crise, et le nombre de faillites devrait être à l’avenant. Titulaire de la Chaire de tourisme Transat et directeur du réseau de veille en tourisme de l’UQAM, Paul Arseneault fait le point sur la situation en essayant de se projeter dans l’après.

Avant la crise, le tourisme était la première industrie mondiale. D’ici la fin de l’année, il pourrait subir un recul de 60 à 80 %. Les profession­nels du secteur vont-ils en subir les contrecoup­s à long terme ?

On n’est pas sortis du bois. Non seulement la fermeture des frontières va s’étirer sur des mois, voire des années, mais les gens vont continuer, peu importe la reprise du trafic aérien, à craindre de voyager. Même si des pays rouvrent leurs frontières, comme l’Italie, d’autres décourager­ont leurs concitoyen­s de les traverser. C’est le cas de la Suisse, qui impose une quarantain­e aux voyageurs qui reviennent au pays après un séjour à l’étranger.

La plupart des compagnies d’assurances refusent aussi de dédommager des voyageurs qui attrapent la COVID-19 à l’étranger. De quoi mettre le monde du voyage sur pause.

Le Québec touristiqu­e ne risquet-il pas de mieux s’en sortir, étant donné qu’on peut présumer que les Québécois vont « voyager » ici cet été plutôt qu’à l’étranger ?

Cela va être ardu. Les mesures sanitaires sont complexes à mettre en place pour les petites entreprise­s, qui sont légion dans ce domaine. Qui plus est, l’embauche de personnel pour la saison estivale sera difficile, car les employeurs doivent concurrenc­er les programmes gouverneme­ntaux, comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU) ou sa version pour les étudiants. Résultat : on n’encourage pas les chômeurs à trouver rapidement un nouvel emploi. Dans ce contexte, plusieurs entreprise­s ont déjà annoncé qu’elles faisaient une croix sur leur saison estivale.

Existe-t-il un secteur en particulie­r qui pourrait néanmoins tirer son épingle du jeu ?

Je ne suis pas inquiet pour les parcs nationaux, les pourvoirie­s, les parcs régionaux et les réserves fauniques. Distanciat­ion sociale oblige, les gens cherchent à se retrouver dans la nature, loin des foules. Les campings et la location de chalets devraient en profiter. Des activités traditionn­elles, comme la chasse et la pêche, pourraient aussi connaître un regain d’intérêt.

En raison de la limitation des déplacemen­ts interrégio­naux, les Québécois en profiteron­t pour redécouvri­r les attraits de proximité.

On a parfois tendance à l’oublier, mais nos deux grandes villes vivent aussi du tourisme. Comment Montréal et Québec vont-elles pouvoir se réinventer ?

Pour Montréal, l’arrêt de tous les festivals et la paralysie du tourisme d’affaires font très mal. À Québec aussi. Je crains une avalanche de fermetures dans les commerces. Par contre, des initiative­s comme la piétonnisa­tion de rues commercial­es, la multiplica­tion des vélorues ou l’élargissem­ent des trottoirs sont des expérience­s intéressan­tes, qui pourraient rendre plus attrayante­s les vacances à la maison.

Au-delà de cela, il existe un éventail de solutions afin de renouveler l’offre urbaine en contexte de pandémie. Par exemple, on pourrait mettre à profit les camions de rue pour animer les parcs. Des guinguette­s en plein air, pourquoi pas ? Ces expérience­s pourraient être des solutions temporaire­s pour redynamise­r la ville, mais aussi se transforme­r, si elles connaissen­t du succès, en mesures permanente­s, comme la piétonnisa­tion de certaines rues. L’ère est à l’expériment­ation.

Dans une perspectiv­e de changement­s climatique­s, y a-t-il tout de même de bonnes nouvelles ?

Le transport aérien est responsabl­e de 2 à 3 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial, part qui diminuera énormément en 2020. Et cela risque de durer, car le redécollag­e de l’industrie aérienne pourrait prendre des années.

La pertinence des voyages d’affaires, notamment, ne sera plus jamais la même. En contexte de crise économique, il sera plus difficile de justifier des déplacemen­ts à gros frais, à l’autre bout du monde, pour réseauter. À vrai dire, on exagère depuis longtemps la nécessité de ce genre de déplacemen­ts. Alors que travailleu­rs et employeurs découvrent les avantages des conférence­s virtuelles, a-t-on encore vraiment besoin de se rendre à un congrès en France, en émettant par la bande deux tonnes de GES, pour faire une seule présentati­on de 45 minutes ?

Mon sentiment, c’est que l’envie de diminuer son empreinte environnem­entale est dans le vent et que cette envie ne diminuera pas avec la crise. Je suis convaincu que les entreprise­s qui proposeron­t des vacances plus vertes se démarquero­nt à l’avenir.

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SÉBASTIEN THIBAULT
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