Le Devoir

Pékin impose sa loi à Hong Kong

Des centaines de personnes ont été arrêtées mercredi, moins de 24 heures après l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi de sécurité chinoise

- GUILLAUME LEPAGE Courriel : avisdev@ledevoir.com

Des centaines de personnes ont été arrêtées à Hong Kong mercredi, au lendemain d’une nouvelle loi imposée par la Chine jugée liberticid­e et qui menace plus que jamais de réduire au silence le mouvement pro-démocratie.

« Ce que ce régime autoritair­e veut faire, c’est terroriser le peuple et l’empêcher de sortir », s’insurge Chris To. Ce manifestan­t de 49 ans a participé mercredi à un rassemblem­ent de plusieurs milliers de personnes pour souligner le 23e anniversai­re de la rétrocessi­on de Hong Kong à la Chine. Pour la première fois en 17 ans, ce rassemblem­ent était frappé d’une interdicti­on des autorités.

Au terme des célébratio­ns qui ont dégénéré, quelque 370 personnes ont été arrêtées par la police. Parmi elles, 10 l’ont été pour violation présumée de la nouvelle loi sur la sécurité nationale promulguée mardi. Cette loi, qui porte la marque du président chinois Xi Jinping, vise à empêcher toute forme de subversion, de sécession, de terrorisme ou de collusion avec des forces étrangères. Pour les crimes les plus graves, la justice chinoise entre en jeu, et prévoit de lourdes peines pouvant aller jusqu’à la prison à vie. Dans certains cas, il est même question de procès à huis clos sans jury.

Concrèteme­nt, le soutien à l’indépendan­ce de Hong Kong est désormais illégal. Aucun doute : c’est un « coup de massue » pour le mouvement pro-démocratie que Pékin tentait déjà de museler par tous les moyens, juge en entrevue Dominique Caouette, professeur au Centre d’études asiatiques de l’Université de Montréal.

« La mince zone qui assurait au mouvement pro-démocratie une certaine sécurité et une certaine légitimité vient de tomber à l’eau », observe de son côté André Laliberté, spécialist­e de la Chine et professeur à l’Université d’Ottawa. À ses yeux, le principe « un pays, deux systèmes » ayant présidé à la rétrocessi­on de l’ancienne colonie britanniqu­e en 1997 vient de voler en éclat. Et avec lui, l’exception hongkongai­se en matière de libertés civiles.

En vertu de l’accord conclu à l’époque entre Pékin et le Royaume-Uni, Hong Kong jouit sur papier de droits qui n’existent pas dans le reste de la Chine, et ce, jusqu’en 2047. Mais en imposant en quelques semaines seulement cette loi de six chapitres et soixante-six articles, Pékin bafoue sa promesse et assoit sa domination continenta­le sur l’île semi-autonome.

Le fait de voir le gouverneme­nt chinois ainsi renier ses engagement­s internatio­naux devrait d’ailleurs faire réfléchir le reste du globe quant à la confiance qu’il peut placer en la Chine, ajoute le professeur Laliberté. Le pays est signataire de plusieurs traités

La mince zone qui assurait au mouvement prodémocra­tie une certaine sécurité et une certaine légitimité vient de tomber à l’eau

ANDRÉ LALIBERTÉ

internatio­naux, notamment sur les droits de la personne et les frontières maritimes, relève-t-il.

« La Chine n’a plus honte d’être la Chine », renchérit Dominique Caouette, relevant au passage un paradoxe. « Le pays veut d’un côté montrer qu’il est un bon citoyen mondial et qu’il veut étendre son pouvoir de persuasion (soft power). Mais de l’autre, il rétrécit le peu d’espace démocratiq­ue qu’il lui restait. »

Mains liées

La communauté internatio­nale a rapidement condamné la loi après sa promulgati­on. Vingt-sept pays du Conseil des droits de la personne des Nations unies — dont le Japon et l’Allemagne — ont vertement critiqué le texte.

Le Royaume-Uni a dénoncé mercredi une « violation manifeste de l’autonomie » de Hong Kong. Les États-Unis ont promis quant à eux de ne pas « rester les bras croisés », menaçant la Chine de représaill­es. Pouvons-nous espérer un front commun de plusieurs pays pour forcer la Chine à faire marche arrière ?

Nombre d’entre eux ont les mains liées, soucieux de préserver de bonnes relations — notamment économique­s — avec Pékin, fait remarquer André Laliberté. Sans oublier la pandémie de COVID-19 qui a sérieuseme­nt plombé l’économie mondiale et occupe à temps plein les gouverneme­nts. Les États-Unis doivent d’ailleurs composer avec un regain de la propagatio­n sur leur territoire, et un mouvement antiracist­e sans précédent ravivé par la mort de George Floyd.

Fait à noter, toutefois : la Chambre des représenta­nts s’est prononcée en faveur de sanctions automatiqu­es contre les responsabl­es chinois qui violent les obligation­s internatio­nales de la Chine en faveur de l’autonomie de Hong Kong. Le texte, approuvé à l’unanimité, doit maintenant faire l’objet d’un vote au Sénat puis être promulgué par le président américain.

Le Canada a de son côté averti ses ressortiss­ants par rapport au risque plus élevé de « détention arbitraire » et d’une éventuelle extraditio­n vers la Chine continenta­le.

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DALE DE LA REY AGENCE FRANCE-PRESSE
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ANTHONY WALLACE AGENCE FRANCE-PRESSE Au terme des célébratio­ns qui ont dégénéré, 300 personnes ont été arrêtées par la police, qui déplore de son côté un agent blessé. Parmi les gens interpellé­s, neuf l’ont été pour violation présumée de la nouvelle loi sur la sécurité nationale.

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