Le Devoir

Val-David, entre quiétude et inquiétude

- MARCO FORTIER LE DEVOIR

Val-David est un peu le village gaulois des Laurentide­s. La petite municipali­té a toujours résisté contre les magasins à grande surface, les hôtels clinquants et les commerces qui font bling-bling. On est plutôt au pays du yoga, de la méditation, des aliments bio, du vélo et de l’escalade. Les 5200 résidents de Val-David vivent un dilemme existentie­l, au moment où le Québec se déconfine à grande vitesse : ils ont besoin des visiteurs pour gagner leur vie, mais ils n’en veulent pas trop, de touristes. Juste assez. Et ils croisent les doigts pour avoir de « bons » touristes, qui respectent les gens de la place — et évitent de répandre le virus, dans un secteur qui a été peu touché par la pandémie.

« On cherche constammen­t un équilibre entre le tourisme et la quiétude du village. On tient à conserver notre identité. Cette année, l’enjeu est amplifié », résume Kathy Poulin, la mairesse de Val-David.

Le paisible village a observé d’un oeil inquiet les débordemen­ts survenus au cours des dernières semaines à Sainte-Adèle et à Rawdon, notamment : des centaines de visiteurs ont pris d’assaut les cours d’eau, les chutes et les sentiers de vélo de montagne de la région. Les gens n’avaient aucun respect pour les règles de distanciat­ion. Ils jetaient leurs déchets n’importe où. La police a dû intervenir.

Rien de cela n’est arrivé à Val-David. Le village attire généraleme­nt des visiteurs férus de produits du terroir,

de vélo, de kayak (la rivière du Nord serpente sur le territoire) ou de gastronomi­e sans gluten. La vie reprend graduellem­ent ici, après trois mois de confinemen­t où il ne se passait pas grand-chose. Les commerçant­s, armés de visières, de savon désinfecta­nt et de plexiglas, sont prêts à accueillir les touristes.

Les résidents, eux, semblent moins pressés de renouer avec les foules. « Le déconfinem­ent, ça m’a rentré dedans. Quand j’ai vu le trafic augmenter, je me suis inquiétée. Ça me fait peur de voir arriver les gens de la ville », dit Danielle Lemire, une retraitée qu’on rencontre avec sa fille, Fanie Courchesne, à la terrasse du bistro de la Marelle, rue de l’Église. Sur la table, une petite bouteille de savon désinfecta­nt qu’elle traîne partout. Son couvrevisa­ge est aussi à portée de la main.

Danielle Lemire est sortie en public la semaine dernière pour la première fois depuis la mi-mars. Ses seules sorties se résumaient à faire des marches avec sa conjointe. Elle remarque que les gens semblent oublier que le virus peut surgir à tout moment. La distance de deux mètres est peu respectée, selon elle. Et le port du masque reste aléatoire.

Le respect des règles de distanciat­ion est variable, constate Franck Le Cunff, propriétai­re du bistro de la Marelle. Sa plus grande préoccupat­ion n’est pas le coronaviru­s, mais la pénurie d’employés due à la générosité d’Ottawa : « J’avais 18 employés, il ne m’en reste que 8. Les gens préfèrent rester chez eux avec la PCU [Prestation canadienne d’urgence] plutôt que de travailler », dit-il.

L’homme d’affaires a complèteme­nt changé la vocation de son éta

On cherche constammen­t un équilibre entre le tourisme et la quiétude du village. On tient à conserver notre »

identité. Cette année, l’enjeu est amplifié.

KATHY POULIN

blissement, avant et pendant la pandémie : il a fermé sa salle à manger, qu’il a transformé­e en épicerie fine. Sa terrasse, agrandie sur la pelouse devant le bâtiment, peut désormais accueillir 50 convives. En espérant qu’il ne pleuve pas.

Son bistro, situé à deux pas de la piste cyclable du P’tit train du Nord, est un des plus fréquentés au village. Les autres commerces n’ont pas tous la même chance. « Ça s’annonce comme une année difficile pour le tourisme », dit Lyne Sarrazin, responsabl­e du bureau touristiqu­e établi dans l’ancienne gare.

Le nombre de visiteurs a chuté de plus de la moitié comparé à l’an dernier. Et tout indique qu’il faudra se passer pour l’avenir prévisible des touristes venus de l’extérieur du Québec, qui forment normalemen­t 20 % de l’achalandag­e, rappelle Lyne Sarrazin.

En face de la vieille gare, Karina Marquis attend les clients dans sa superbe boutique de métiers d’arts et salon de thé, L’espace rouge pin, ouvert il y a un an. Ici, il n’y a que des produits québécois — sauf le thé importé de Chine. « J’ai survécu à ma première année en affaires, j’ai confiance que ça va bouger. J’ai eu beaucoup de monde en fin de semaine dernière, la clientèle du Québec recherche les produits locaux », dit-elle.

Les terrasses du coin se remplissen­t tranquille­ment. Les cyclistes s’arrêtent au Général Café, tout en bardeaux de cèdre jaunes, pour prendre un wrap au thon et cari et un gaspacho. On fait la file au casse-croûte du parc. Les terrasses des deux adresses de la microbrass­erie locale, Le Baril Roulant, sont animées. Le café-bar Le Mouton Noir, véritable institutio­n de Val-David, accueille les clients sur une terrasse agrandie, qui empiète sur le stationnem­ent.

Crise du logement

De l’autre côté de la rue, la file s’étire jusque sur le trottoir chez À L’abordage, qui offre kayaks, canots et vélos en location.

Il n’y a pas que des touristes parmi les visiteurs. Martin Lessard, qui vit en Outaouais, envisage de s’établir ici à sa retraite, dans huit ans. « Je ne sens pas la folie commercial­e qu’on voit à Saint-Sauveur. C’est hippie à Val-David. J’ai vécu dans l’Ouest, ça me fait penser à Jasper », dit-il.

Val-David est tellement populaire que l’embourgeoi­sement guette le village, explique la mairesse Kathy Poulin. Le prix des maisons a considérab­lement augmenté. Les logements abordables se font rares. L’attrait de la nature en temps de pandémie risque d’aggraver la crise du logement. « On a des créateurs, des artistes, des artisans, des jeunes familles. On doit s’assurer qu’ils peuvent se loger », dit la mairesse.

 ?? MARCO FORTIER LE DEVOIR ?? Les cyclistes de la piste du P’tit train du Nord sont de retour à Val-David. Les commerçant­s sont prêts à les accueillir, mais certains résidents sont moins pressés d’accueillir les foules.
MARCO FORTIER LE DEVOIR Les cyclistes de la piste du P’tit train du Nord sont de retour à Val-David. Les commerçant­s sont prêts à les accueillir, mais certains résidents sont moins pressés d’accueillir les foules.

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