Les jeunes toxicomanes sont laissés à eux-mêmes
Le confinement a tari les sources habituelles de référencement des centres de traitement comme le centre Portage
Des centres de désintoxication pour adolescents lancent un cri d’alarme : depuis la pandémie, les demandes d’admission sont en chute libre. Et ce n’est pas parce que les jeunes ont arrêté de consommer, mais parce que les filets de sécurité habituels ont pratiquement tous disparu depuis le mois de mars.
« Depuis que les écoles ont fermé, on n’arrive plus à rejoindre les jeunes, résume Guillaume Potvin, chef de service du programme adolescent au centre Portage au lac Écho dans les Laurentides. Sans service, ils risquent de se retrouver dans des situations plus difficiles : plus d’itinérance, plus d’overdoses et des problèmes de toxicomanie plus graves. »
Même son de cloche au centre Le Grand Chemin, qui aide les adolescents ayant des problèmes de dépendance. « Il est urgent de trouver une façon de rejoindre les jeunes, sans quoi leur condition va se détériorer et on va se retrouver avec des problèmes beaucoup plus lourds à l’automne », plaide son directeur général, David Laplante, qui rappelle que, chez les adolescents, il est important d’intervenir le plus tôt possible pour éviter une escalade dans la consommation.
Il ne me restait qu’une seule amie et elle avait une influence négative sur moi. On consommait »
ensemble et on voulait aller vers la prostitution.
ANNABELLE, 17 ANS
Annabelle
Annabelle a 17 ans. En raison de sa consommation, elle s’est éloignée de sa famille et de ses amis. Elle foxait ses cours et s’était résignée à rater son secondaire 5. « Il ne me restait qu’une seule amie et elle avait une influence négative sur moi. On consommait ensemble et on voulait aller vers la prostitution », raconte l’adolescente.
« Je mettais des photos de moi en brassière sur les réseaux sociaux et des proxénètes m’ont contactée. J’étais attirée par l’idée d’avoir de l’argent, de m’habiller comme je voulais, de faire ce que je voulais. On me disait que je pourrais avoir de la drogue tant que j’en voulais, des beaux vêtements, aller au restaurant tout le temps, avoir de faux ongles et de faux cils gratuitement. C’est ce qu’ils nous promettent et c’est ce que je voulais : tout ce superficiel. »
La technicienne en éducation spécialisée (TES) de l’école l’a mise en contact avec des professionnels en toxicomanie qui l’ont évaluée et lui ont fait visiter le centre du Portage. Les installations en plein coeur de la forêt, avec son lac et son petit air de camp de vacances lui ont plu. Mais elle n’était pas convaincue. Six mois de thérapie, c’est long, surtout à 17 ans. Et bien franchement, elle n’avait pas tellement envie d’arrêter de consommer. Elle a finalement accepté, en partie pour faire plaisir à sa mère, en se disant qu’elle pourrait tricher et consommer avec ses amis pendant ses sorties.
Mais son séjour ne s’est pas déroulé comme prévu. Elle est arrivée le 28 janvier et au moment où elle aurait pu commencer à avoir des sorties de fin de semaine pour tester ses capacités dans le monde extérieur, la pandémie a frappé le Québec.
« C’était très difficile de réaliser que je ne pourrais pas sortir. Je n’avais pas confiance en moi, mais les intervenants, eux, ont cru en moi. J’ai appris à connaître mes valeurs, parce que je n’en avais plus. »
Il reste encore un mois de thérapie à Annabelle et elle envisage avec espoir sa sortie officielle, sachant qu’elle s’est forgé ici des amitiés qui vont l’aider à s’accepter sans jugement et à rester sobre. Elle a réussi à finir son secondaire 5 au Portage et a été acceptée au cégep. Elle est reconnaissante envers tous ces gens qui lui ont donné de l’amour, de l’espoir et des outils pour changer.
Rejoindre les jeunes
Mais Annabelle a eu de la chance d’obtenir de l’aide et d’être envoyée là-bas avant la pandémie. Car depuis la mi-mars, Le Portage ne reçoit plus de références de ses partenaires habituels, soit les écoles, les hôpitaux, les centres jeunesse et autres organismes communautaires. En mode télétravail, les intervenants qui lèvent généralement le drapeau rouge ne sont plus en mesure de le faire.
Ainsi, en comparaison avec l’an dernier, Le Portage a vu ses demandes d’admission diminuer de 63 % pour la clientèle adolescente francophone et de 87 % pour la clientèle adolescente anglophone depuis le mois de mars. Chez les adultes, la baisse se chiffre à 38 %. « Les adultes vont souvent entrer par référencement eux aussi, mais plusieurs vont décider de faire les démarches eux-mêmes pour obtenir de l’aide, ce qui est rarement le cas pour les ados. La plupart du temps, ils ont besoin d’un petit coup de pouce », note Guillaume Potvin.
Sa collègue Seychelle Harding implore les parents de venir à la rescousse : « On a besoin des familles, des parents, des grands-parents. Appeleznous ! Même si ça ne se solde pas par une admission, même si c’est juste pour poser des questions. On est là et on va vous aider. Mais appeleznous ! »
David Laplante, du centre du Grand Chemin, estime que c’est plutôt aux intervenants du réseau de s’organiser pour joindre les jeunes malgré la pandémie. « Les pratiques n’étaient pas au point pour rejoindre les jeunes quand la pandémie est arrivée et tout le monde a été pris de court, note-t-il. Mais ça fait quatre mois qu’on est dans la COVID et il faut trouver de nouvelles façons de travailler pour rejoindre nos jeunes davantage. Parce que les parents, oui, ils peuvent appeler, mais souvent les parents sont euxmêmes en difficulté. Alors, je ne peux pas m’attendre à ce qu’ils appellent, ils ne le font déjà pas… »
C’est dans de telles crises que l’on réalise à quel point les écoles secondaires sont importantes dans la société, pas seulement sur le plan scolaire, mais pour dépister les problèmes et offrir de l’aide aux jeunes en difficulté. « C’est pour ça que c’est si important que les écoles ouvrent en septembre », conclut-il.