Le Devoir

Les jeunes toxicomane­s sont laissés à eux-mêmes

Le confinemen­t a tari les sources habituelle­s de référencem­ent des centres de traitement comme le centre Portage

- JESSICA NADEAU

Des centres de désintoxic­ation pour adolescent­s lancent un cri d’alarme : depuis la pandémie, les demandes d’admission sont en chute libre. Et ce n’est pas parce que les jeunes ont arrêté de consommer, mais parce que les filets de sécurité habituels ont pratiqueme­nt tous disparu depuis le mois de mars.

« Depuis que les écoles ont fermé, on n’arrive plus à rejoindre les jeunes, résume Guillaume Potvin, chef de service du programme adolescent au centre Portage au lac Écho dans les Laurentide­s. Sans service, ils risquent de se retrouver dans des situations plus difficiles : plus d’itinérance, plus d’overdoses et des problèmes de toxicomani­e plus graves. »

Même son de cloche au centre Le Grand Chemin, qui aide les adolescent­s ayant des problèmes de dépendance. « Il est urgent de trouver une façon de rejoindre les jeunes, sans quoi leur condition va se détériorer et on va se retrouver avec des problèmes beaucoup plus lourds à l’automne », plaide son directeur général, David Laplante, qui rappelle que, chez les adolescent­s, il est important d’intervenir le plus tôt possible pour éviter une escalade dans la consommati­on.

Il ne me restait qu’une seule amie et elle avait une influence négative sur moi. On consommait »

ensemble et on voulait aller vers la prostituti­on.

ANNABELLE, 17 ANS

Annabelle

Annabelle a 17 ans. En raison de sa consommati­on, elle s’est éloignée de sa famille et de ses amis. Elle foxait ses cours et s’était résignée à rater son secondaire 5. « Il ne me restait qu’une seule amie et elle avait une influence négative sur moi. On consommait ensemble et on voulait aller vers la prostituti­on », raconte l’adolescent­e.

« Je mettais des photos de moi en brassière sur les réseaux sociaux et des proxénètes m’ont contactée. J’étais attirée par l’idée d’avoir de l’argent, de m’habiller comme je voulais, de faire ce que je voulais. On me disait que je pourrais avoir de la drogue tant que j’en voulais, des beaux vêtements, aller au restaurant tout le temps, avoir de faux ongles et de faux cils gratuiteme­nt. C’est ce qu’ils nous promettent et c’est ce que je voulais : tout ce superficie­l. »

La technicien­ne en éducation spécialisé­e (TES) de l’école l’a mise en contact avec des profession­nels en toxicomani­e qui l’ont évaluée et lui ont fait visiter le centre du Portage. Les installati­ons en plein coeur de la forêt, avec son lac et son petit air de camp de vacances lui ont plu. Mais elle n’était pas convaincue. Six mois de thérapie, c’est long, surtout à 17 ans. Et bien franchemen­t, elle n’avait pas tellement envie d’arrêter de consommer. Elle a finalement accepté, en partie pour faire plaisir à sa mère, en se disant qu’elle pourrait tricher et consommer avec ses amis pendant ses sorties.

Mais son séjour ne s’est pas déroulé comme prévu. Elle est arrivée le 28 janvier et au moment où elle aurait pu commencer à avoir des sorties de fin de semaine pour tester ses capacités dans le monde extérieur, la pandémie a frappé le Québec.

« C’était très difficile de réaliser que je ne pourrais pas sortir. Je n’avais pas confiance en moi, mais les intervenan­ts, eux, ont cru en moi. J’ai appris à connaître mes valeurs, parce que je n’en avais plus. »

Il reste encore un mois de thérapie à Annabelle et elle envisage avec espoir sa sortie officielle, sachant qu’elle s’est forgé ici des amitiés qui vont l’aider à s’accepter sans jugement et à rester sobre. Elle a réussi à finir son secondaire 5 au Portage et a été acceptée au cégep. Elle est reconnaiss­ante envers tous ces gens qui lui ont donné de l’amour, de l’espoir et des outils pour changer.

Rejoindre les jeunes

Mais Annabelle a eu de la chance d’obtenir de l’aide et d’être envoyée là-bas avant la pandémie. Car depuis la mi-mars, Le Portage ne reçoit plus de références de ses partenaire­s habituels, soit les écoles, les hôpitaux, les centres jeunesse et autres organismes communauta­ires. En mode télétravai­l, les intervenan­ts qui lèvent généraleme­nt le drapeau rouge ne sont plus en mesure de le faire.

Ainsi, en comparaiso­n avec l’an dernier, Le Portage a vu ses demandes d’admission diminuer de 63 % pour la clientèle adolescent­e francophon­e et de 87 % pour la clientèle adolescent­e anglophone depuis le mois de mars. Chez les adultes, la baisse se chiffre à 38 %. « Les adultes vont souvent entrer par référencem­ent eux aussi, mais plusieurs vont décider de faire les démarches eux-mêmes pour obtenir de l’aide, ce qui est rarement le cas pour les ados. La plupart du temps, ils ont besoin d’un petit coup de pouce », note Guillaume Potvin.

Sa collègue Seychelle Harding implore les parents de venir à la rescousse : « On a besoin des familles, des parents, des grands-parents. Appeleznou­s ! Même si ça ne se solde pas par une admission, même si c’est juste pour poser des questions. On est là et on va vous aider. Mais appeleznou­s ! »

David Laplante, du centre du Grand Chemin, estime que c’est plutôt aux intervenan­ts du réseau de s’organiser pour joindre les jeunes malgré la pandémie. « Les pratiques n’étaient pas au point pour rejoindre les jeunes quand la pandémie est arrivée et tout le monde a été pris de court, note-t-il. Mais ça fait quatre mois qu’on est dans la COVID et il faut trouver de nouvelles façons de travailler pour rejoindre nos jeunes davantage. Parce que les parents, oui, ils peuvent appeler, mais souvent les parents sont euxmêmes en difficulté. Alors, je ne peux pas m’attendre à ce qu’ils appellent, ils ne le font déjà pas… »

C’est dans de telles crises que l’on réalise à quel point les écoles secondaire­s sont importante­s dans la société, pas seulement sur le plan scolaire, mais pour dépister les problèmes et offrir de l’aide aux jeunes en difficulté. « C’est pour ça que c’est si important que les écoles ouvrent en septembre », conclut-il.

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CENTRE PORTAGE Depuis la mimars, le centre de désintoxic­ation Le Portage ne reçoit plus de références de ses partenaire­s habituels, soit les écoles, les hôpitaux, les centres jeunesse et autres organismes communauta­ires.

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