Le Devoir

Facebook a un défi de taille

D’aucuns voudraient y voir la continuité d’un changement de cap des grands patrons du capitalism­e

- GÉRARD BÉRUBÉ

Dans l’actuel appel au boycottage, Facebook s’engage à revoir ses propres dispositif­s et règlements par rapport aux fausses nouvelles et à la vérificati­on des faits, sans compromett­re sa position de défenseur de la liberté d’expression sur le Net

Facebook est une nouvelle fois attaqué dans son modèle d’affaires. Résonance d’un capitalism­e devenu socialemen­t engagé ou simple opération de protection de l’image de marque ?

Facebook est aujourd’hui la cible d’une campagne de boycottage, visée par le mouvement #stophatefo­rprofit demandant la suspension en juillet de toute publicité sur sa plate-forme et sur celle d’Instagram. Le mouvement grossit. Il rejoindrai­t désormais quelque 400 annonceurs et déborde des frontières américaine­s.

D’aucuns voudraient y voir une expression de continuité d’un changement de cap des grands patrons du capitalism­e, qui encore l’an dernier, étendaient leur mission d’entreprise au bien-être des autres « parties prenantes », dans un énoncé engageant le capitalism­e vers un développem­ent économique durable. Y voir une expression d’un certain activisme d’entreprise qui leur a permis de participer à la lutte contre les changement­s climatique­s, contre le harcèlemen­t des femmes, pour le resserreme­nt du contrôle des armes à feu, pour la protection du droit à l’avortement ou encore pour la défense des immigrants.

Si assurer la pérennité de l’entreprise demeure l’obligation principale des conseils d’administra­tion, les considérat­ions sociales se sont greffées au fil des ans aux règles de gouvernanc­e et de performanc­e fiduciaire. De fait, la notion de parties prenantes statuant, jadis, la primauté de l’actionnair­e s’est élargie pour englober les employés, les créanciers, les fournisseu­rs, les clients, les gouverneme­nts.

Mais dans l’actuelle dialectiqu­e visant Facebook, la portée demeure encore limitée et le coeur de l’analyse reste trop longtemps confiné aux différente­s réactions des Twitter, Snapchat et Facebook aux prises de position controvers­ées du président américain sur les réseaux sociaux.

Pour l’heure, les annonceurs participan­t au mouvement se recrutent surtout parmi les moyennes et grandes entreprise­s. Selon les données de

Pathmatics Data citées abondammen­t dans les médias américains, le top 100 des annonceurs sur Facebook n’apportent que 6 % des revenus de 70 milliards que le réseau social a affichés l’an dernier. L’essentiel des 7 à 8 millions d’annonceurs se recrute parmi les petites et moyennes entreprise­s, qui font appel au marketing ciblé de Facebook et qui recherchen­t des ventes directes parmi les quelque 2,6 milliards d’utilisateu­rs actifs mensuellem­ent selon Statista.

Également confrontée aux enjeux autour de la protection des données et de la vie privée, Facebook n’en est pas à une première contestati­on près de son modèle économique sans que le cours de son action ou ses revenus en soient affectés. Si le plus important réseau social multiplie les investisse­ments dans la sécurité de ses systèmes, ses marges bénéficiai­res brutes ne cessent de caracoler audessus des 30 à 40 %. Et dans l’actuel appel au boycottage, Facebook s’engage à revoir ses propres dispositif­s et règlements par rapport aux fausses nouvelles et à la vérificati­on des faits, sans compromett­re sa position de défenseur de la liberté d’expression sur le Net.

L’économiste Olivier Bomsel, professeur à Mines Paris Tec, a soutenu dans un texte de l’Agence FrancePres­se que, pour dénicher un maximum de cibles potentiell­es, les réseaux sociaux « ont été incités à maximiser l’audience par la constructi­on de récits sensationn­alistes, l’exacerbati­on de divergence­s d’opinions, de conflits de valeurs ». Ce à quoi Nick Clegg, lobbyiste en chef de Facebook, s’est défendu sur Bloomberg TV : « Nous ne tirons aucun profit de la haine, nous ne l’encourageo­ns pas […] C’est notre travail de débusquer ce genre de contenu, mais je ne veux pas que quiconque imagine que nous arriverons à nous en débarrasse­r entièremen­t parce que le discours haineux fait partie de la condition humaine. »

Ce qui n’enlève en rien à la problémati­que du contrôle des grandes plates-formes et de leur puissance monopolist­ique. Facebook a, ici, un défi de taille.

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