L’Occident timoré
Au moins, ils n’ont pas arrêté Xu Zhangrun », se disaiton dans les milieux intellectuels chinois, comme pour se convaincre, relate Le Monde, qu’une certaine liberté de pensée pouvait encore être possible en Chine, si étroit qu’en soit le chemin. M. Xu, professeur de droit à la prestigieuse Université Tsinghua, à Pékin, dont le président Xi Jinping est lui-même diplômé, était l’un des rares à prendre encore le risque de critiquer le régime. Il a été arrêté lundi.
M. Xu a fait grand bruit en publiant en 2018 un texte dénonçant la réforme de la Constitution qui a autorisé le président Xi à demeurer au pouvoir à vie. Il lui était depuis interdit de donner ses cours. En février dernier, il récidivait en diffusant en ligne un long texte intitulé « Alerte au virus : quand la fureur est plus forte que la peur », dans lequel il affirmait que « l’épidémie a révélé le noyau pourri de la gouvernance en Chine ». Évidemment qu’il savait, pour avoir subi maintes vexations aux mains des autorités, que ses jours de liberté très relative de parole étaient comptés. Sans doute sera-t-il accusé de « propagation de fausses rumeurs » sur Internet et sur les réseaux sociaux, avant d’aller rejoindre en prison les quelque 500 personnes sanctionnées pour la même offense, selon un décompte de l’ONG China Human Rights Defenders.
Les voix cultivant l’illusion, entretenue en Occident depuis au moins 30 ans, que la Chine allait se démocratiser et « s’ouvrir » à la faveur de la mondialisation se raréfiaient depuis déjà un bon moment. Lundi, c’est M. Xu qui a fait les frais de ce grand mensonge. Depuis la semaine dernière, ce sont aussi les démocrates hongkongais.
En outre, avec la chape de plomb tombée mardi dernier sur Hong Kong sous la forme d’une nouvelle loi sur la « sécurité nationale », la dictature chinoise montre comme jamais qu’elle juge avoir établi dans ses relations internationales un rapport de force qui l’autorise à réarranger le monde en fonction de ses impériaux et impérieux intérêts. Au mépris total des accords de rétrocession appliqués depuis 1997. Que les chancelleries occidentales se contentent de manifester leur « inquiétude » et leur « vive préoccupation » ne fait que confirmer leur impuissance et leur embarras.
Pékin aura fait preuve d’une — très — relative retenue dans les relations avec Hong Kong depuis 20 ans, en ce sens qu’elle aura en partie accepté de laisser les autorités locales composer avec les vagues de contestation populaire qui se sont succédé depuis le début des années 2000 contre l’érosion des droits démocratiques protégés par le principe « Un pays, deux systèmes ». Or, le propre de cette loi sur la sécurité nationale est qu’elle a émané directement de Pékin, sans égard pour le Conseil législatif local. C’est sans précédent. La loi n’en est que plus liberticide. Elle applique à Hong Kong le droit à la répression qui existe sur le continent.
La législation rend passible de prison à vie toute personne reconnue coupable de « sécession », de « terrorisme », de « subversion » ou de «collusion avec les forces étrangères ». Au prétexte de ramener le calme après les immenses manifestations prodémocratie de l’année dernière, elle vise en fait à étouffer la revendication démocratique. Elle porte un coup grave, sinon fatal, au statut d’autonomie de Hong Kong, menace l’indépendance de sa justice et la liberté de presse et de parole. On se demandait quand le président Xi perdrait patience. Avec ce coup de force, c’est fait.
L’opposition a tout de suite mesuré l’ampleur de la menace. Le parti prodémocratie Demosisto s’est dissous et l’un de ses principaux leaders, Nathan Law, est en fuite. Et non, la loi ne concerne pas qu’une « petite minorité », comme le prétend bêtement Pékin. C’est celle d’un État policier qui encourage la délation. Qui a tôt fait de retirer des écoles et des bibliothèques de la ville, rapporte l’AFP, les livres écrits par les leaders de l’opposition ou jugés séditieux au regard de la nouvelle loi. Qui veut enfermer la légitime contestation en prison, sinon dans la clandestinité.
Tout cela confronte l’Occident à ses contradictions et à ses faiblesses. Pour le gouvernement Trump, la politique d’engagement avec la Chine « est le plus grand échec de la politique étrangère des ÉtatsUnis depuis les années 1930 ». Pour des raisons économiques, bien entendu : la défense des droits de la personne n’est pas sa tasse de thé. Enfermé en lui-même, M. Trump jappe fort contre Pékin, mais, dans les faits, cela n’empêche pas la Chine de continuer à étendre ses tentacules en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine… Quant à l’Europe, elle est trop divisée pour pouvoir affronter Pékin sur la question hongkongaise — une Europe dont le moteur allemand considère que sa relation avec la Chine est avant tout économique. Pékin parie que l’indignation de l’Occident sera timorée, puisqu’il a toujours pu le faire.