Le Devoir

Des travailleu­rs temporaire­s devenus essentiels

- Justine Sara Candidate à la maîtrise en droit, Université de Montréal

La COVID-19 a permis de faire la lumière sur les conditions terribleme­nt exigeantes des préposés aux bénéficiai­res et des employés des milieux de soins, plus particuliè­rement de ceux et celles provenant des agences de placement pour travailleu­ses et travailleu­rs étrangers temporaire­s (TET). La répartitio­n de ce personnel s’est faite — et a toujours été faite — d’une façon tellement chaotique que le ministère de la Santé a admis, le 1er juin dernier, lors d’une enquête menée par Radio-Canada, ignorer combien de travailleu­rs d’agence étaient utilisés dans le réseau de la santé, et les CIUSSS avaient des réponses très vagues quant au nombre de TET dans chacun de leurs établissem­ents.

Il faut savoir que ces travailleu­rs sont dans une situation de dépendance, puisque leur permis de travail est délivré pour un seul employeur, faute de quoi ils devront quitter notre province. En plus, lorsque cet employeur est une agence de placement, la précarité des travailleu­rs est intensifié­e en raison de l’incertitud­e liée à un travail temporaire et au manque d’informatio­n sur leur employeur et sur les clients chez qui ils sont appelés à effectuer des services. S’il est vrai que le taux de chômage au Québec était assez faible avant la pandémie — nous étions pratiqueme­nt en situation de pleinemplo­i —, il est raisonnabl­e de se demander pourquoi les employeurs des centres de santé font appel aussi souvent à des TET. En fait, c’est qu’ils considèren­t que l’ouvrage donné à ces travailleu­rs ne peut être fait par des travailleu­rs québécois, notamment parce que les conditions de travail sont particuliè­rement difficiles et que la rémunérati­on n’est pas assez élevée selon nos standards. Cette analyse de la situation démontre que l’utilisatio­n des TET est basée strictemen­t sur des valeurs économique­s qui dénaturent l’aspect humain de la relation avec l’employeur, et l’attachemen­t social au pays d’accueil.

Et, comme si ce n’était pas assez, en temps de pandémie, la situation est encore plus prononcée. Récemment, par crainte de perdre leur statut faute d’emploi et par besoin essentiel d’avoir un salaire pour soutenir leurs proches à l’étranger, des TET ont continué à travailler pour les agences malgré l’apparition de symptômes de coronaviru­s. Ces derniers n’étant pas formés en santé et sécurité au travail, ils ne connaissen­t pas leurs droits, et la nature de leurs assignatio­ns étant éphémère, ils sont isolés des autres travailleu­rs et ne peuvent se créer de réseau de contacts solides afin de ressentir une sécurité d’emploi.

En prime, les préposés aux bénéficiai­res ainsi que les employés d’entretien ménager provenant d’agences de placement temporaire­s ont été constammen­t déplacés parmi les différents CHSLD, dans des zones rouges à haute infection de COVID-19, sans aucune indication quant à la nature du travail qu’ils devaient effectuer, mettant ainsi à risque non seulement les travailleu­rs, mais également les bénéficiai­res et les employés permanents. Il a même fallu que l’Institut national de santé publique intervienn­e et publie un communiqué spécifique aux agences de placement pour que les directions des différents CHSLD et résidences privées cessent de traiter les TET comme des pions pouvant être déplacés selon les besoins, et pour qui même des droits de base ne sont pas respectés.

N’est-ce pas contradict­oire de nommer ces préposés aux bénéficiai­res nos « anges gardiens » ? Ils contribuen­t coeur et âme à s’occuper de nos aînés en perte d’autonomie, mais on leur enlève systématiq­uement la possibilit­é de devenir résident permanent ? Cette logique démontre une hypocrisie gouverneme­ntale qui est bien camouflée derrière le message du « bon père de famille » que représente François Legault depuis le 13 mars 2020. Comme si ce n’était pas assez, la création du nouveau programme de formation accélérée pour préposés aux bénéficiai­res est une preuve criante que le statut temporaire de ces travailleu­rs n’est pas justifié puisqu’il existe un besoin à long terme.

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