Des travailleurs temporaires devenus essentiels
La COVID-19 a permis de faire la lumière sur les conditions terriblement exigeantes des préposés aux bénéficiaires et des employés des milieux de soins, plus particulièrement de ceux et celles provenant des agences de placement pour travailleuses et travailleurs étrangers temporaires (TET). La répartition de ce personnel s’est faite — et a toujours été faite — d’une façon tellement chaotique que le ministère de la Santé a admis, le 1er juin dernier, lors d’une enquête menée par Radio-Canada, ignorer combien de travailleurs d’agence étaient utilisés dans le réseau de la santé, et les CIUSSS avaient des réponses très vagues quant au nombre de TET dans chacun de leurs établissements.
Il faut savoir que ces travailleurs sont dans une situation de dépendance, puisque leur permis de travail est délivré pour un seul employeur, faute de quoi ils devront quitter notre province. En plus, lorsque cet employeur est une agence de placement, la précarité des travailleurs est intensifiée en raison de l’incertitude liée à un travail temporaire et au manque d’information sur leur employeur et sur les clients chez qui ils sont appelés à effectuer des services. S’il est vrai que le taux de chômage au Québec était assez faible avant la pandémie — nous étions pratiquement en situation de pleinemploi —, il est raisonnable de se demander pourquoi les employeurs des centres de santé font appel aussi souvent à des TET. En fait, c’est qu’ils considèrent que l’ouvrage donné à ces travailleurs ne peut être fait par des travailleurs québécois, notamment parce que les conditions de travail sont particulièrement difficiles et que la rémunération n’est pas assez élevée selon nos standards. Cette analyse de la situation démontre que l’utilisation des TET est basée strictement sur des valeurs économiques qui dénaturent l’aspect humain de la relation avec l’employeur, et l’attachement social au pays d’accueil.
Et, comme si ce n’était pas assez, en temps de pandémie, la situation est encore plus prononcée. Récemment, par crainte de perdre leur statut faute d’emploi et par besoin essentiel d’avoir un salaire pour soutenir leurs proches à l’étranger, des TET ont continué à travailler pour les agences malgré l’apparition de symptômes de coronavirus. Ces derniers n’étant pas formés en santé et sécurité au travail, ils ne connaissent pas leurs droits, et la nature de leurs assignations étant éphémère, ils sont isolés des autres travailleurs et ne peuvent se créer de réseau de contacts solides afin de ressentir une sécurité d’emploi.
En prime, les préposés aux bénéficiaires ainsi que les employés d’entretien ménager provenant d’agences de placement temporaires ont été constamment déplacés parmi les différents CHSLD, dans des zones rouges à haute infection de COVID-19, sans aucune indication quant à la nature du travail qu’ils devaient effectuer, mettant ainsi à risque non seulement les travailleurs, mais également les bénéficiaires et les employés permanents. Il a même fallu que l’Institut national de santé publique intervienne et publie un communiqué spécifique aux agences de placement pour que les directions des différents CHSLD et résidences privées cessent de traiter les TET comme des pions pouvant être déplacés selon les besoins, et pour qui même des droits de base ne sont pas respectés.
N’est-ce pas contradictoire de nommer ces préposés aux bénéficiaires nos « anges gardiens » ? Ils contribuent coeur et âme à s’occuper de nos aînés en perte d’autonomie, mais on leur enlève systématiquement la possibilité de devenir résident permanent ? Cette logique démontre une hypocrisie gouvernementale qui est bien camouflée derrière le message du « bon père de famille » que représente François Legault depuis le 13 mars 2020. Comme si ce n’était pas assez, la création du nouveau programme de formation accélérée pour préposés aux bénéficiaires est une preuve criante que le statut temporaire de ces travailleurs n’est pas justifié puisqu’il existe un besoin à long terme.