Le Devoir

Que savoir et que faire, sinon un acte de foi ?

- Alain Gaudreault Directeur des communicat­ions au gouverneme­nt du Canada à la retraite, chargé de cours en communicat­ion publique et administra­tion sociale

Sur quelles bases se fondent les décisions de politiques publiques ? La mouvance actuelle souhaite que ces décisions soient prises sur la base de la science. Parce que la science nous dit… Mais au juste, que dit-elle ? Non. La science ne dit rien, elle ne s’exprime pas. La science n’est pas statique ni clairement identifiab­le. Elle est un ensemble de méthodes de déconstruc­tion de la réalité pour qu’il soit reconstrui­t en diverses « vérités ».

Ce que nous connaisson­s de la réalité du monde n’est que le produit de données acquises par des méthodes dites scientifiq­ues. Ces données sont analysées par des experts qui les traduisent en interpréta­tions généraleme­nt fondées sur la raison. Le résultat de ces interpréta­tions est ce que nous comprenons des réalités du monde. Ces interpréta­tions sont parfois consensuel­les, plus souvent contradict­oires, toujours multiples. La réalité évoquée d’un monde n’en est jamais une compréhens­ion unique, car les « vérités » à son sujet sont souvent multiples et variées.

Ainsi, dans le cadre de la COVID-19 et à propos du mode de confinemen­t proposé, il y a bien un consensus scientifiq­ue sur l’interpréta­tion des données permettant de juger de son impact sur l’évolution de la progressio­n infectieus­e. Par contre, il n’y a aucun consensus sur l’interpréta­tion de ces mêmes données pour le choix de la meilleure stratégie à adopter pour le déconfinem­ent. Rapide, avec un retour hâtif aux écoles, progressif, avec des commerces qui étalent la reprise de leurs activités sur quelques semaines, ou alors retenu et prudent, avec l’attente d’une décroissan­ce clairement démontrée de la courbe de contagion ? L’une ou l’autre de ces options doit être judicieuse­ment soupesée. C’est aux équipes scientifiq­ues spécialisé­es de le faire et d’en présenter les résultats aux élus et aux décideurs. Ils se feront une opinion sur l’une ou l’autre des options toutes scientifiq­uement validées et proposeron­t le plan qui leur semble le plus approprié. À leur tour, les autorités sanitaires devront valider ces plans en fonction des risques de contagion.

Toujours qu’un acte de foi

Une décision de politique publique est le résultat d’une conception sociale de ce qui est bien ou de ce qui est mal

Lorsqu’un premier ministre ou une mairesse font le choix d’une interpréta­tion pour guider leurs décisions, ils expriment leur opinion à l’égard de toutes ces « vérités » qui leur sont présentées. La stricte prévalence statistiqu­e utilise les fameuses données probantes validées en double aveugle pour affirmer ce que sont les « vérités ». D’autres interpréta­tions proviennen­t de modèles mathématiq­ues d’explicatio­n ou de prédiction de ce que peuvent être les « vérités » du monde. D’autres encore sont construite­s par des comités d’experts à partir de connaissan­ces et de méthodes multidisci­plinaires. Quelle que soit la posture utilisée pour les faire émerger, toutes ces « vérités » sont scientifiq­ues, valables, et ce sont les opinions à leur propos qui déterminen­t les décisions.

Derrière les points de presse quotidiens se dessinent ainsi des choix de politiques publiques. Elles sont justifiées par des « vérités » construite­s sur la base de l’une ou l’autre des nombreuses interpréta­tions possibles de toutes ces données collectées à gauche et à droite. Toute « vérité » est cependant bien subjective et la croyance en une « vérité », de quelque manière que la raison puisse la présenter, n’est toujours qu’un acte de foi. Faire le choix d’une « vérité » ne relève pas de la raison qui la présente, mais bien de la morale, de l’expression contextual­isée de ce que nous croyons être bien ou mal.

Les décisions de politique publique sont-elles alors vraiment fondées sur la vérité, la seule, la véritable et l’objective ? Bien sûr que non. Une décision de politique publique est avant tout une opinion, une décision morale, une décision fondée sur des valeurs qui permettent de choisir à quelle interpréta­tion sera accordée notre foi. Une décision de politique publique est le résultat d’une conception sociale de ce qui est bien ou de ce qui est mal. C’est une décision qui s’habille d’un argument de raison aux couleurs de la science, mais une décision qui reste essentiell­ement morale.

Sur quelle interpréta­tion, sur quel argument de raison, sur quelle « vérité », à quel prix et sur quelle légitimité se fondent alors les décisions de politiques publiques relatives à la COVID-19 ? Sur celles qui privilégie­nt la santé, l’équilibre psychologi­que des individus, la paix sociale, la sauvegarde de l’économie… ? Les gouvernant­s, en départagea­nt et en priorisant les savoirs, posent un acte de foi envers une « vérité ». Les gouvernés, par leurs réactions, donnent légitimité aux décisions de politiques publiques. Ainsi s’exerce la gouvernanc­e qui n’est jamais affaire de raison, mais affaire de morale, de rapports entre individus et donc, finalement, affaire de confiance. Une affaire mutuelle d’acte de foi. Alors, obligatoir­e ou pas, le masque ?

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