Que savoir et que faire, sinon un acte de foi ?
Sur quelles bases se fondent les décisions de politiques publiques ? La mouvance actuelle souhaite que ces décisions soient prises sur la base de la science. Parce que la science nous dit… Mais au juste, que dit-elle ? Non. La science ne dit rien, elle ne s’exprime pas. La science n’est pas statique ni clairement identifiable. Elle est un ensemble de méthodes de déconstruction de la réalité pour qu’il soit reconstruit en diverses « vérités ».
Ce que nous connaissons de la réalité du monde n’est que le produit de données acquises par des méthodes dites scientifiques. Ces données sont analysées par des experts qui les traduisent en interprétations généralement fondées sur la raison. Le résultat de ces interprétations est ce que nous comprenons des réalités du monde. Ces interprétations sont parfois consensuelles, plus souvent contradictoires, toujours multiples. La réalité évoquée d’un monde n’en est jamais une compréhension unique, car les « vérités » à son sujet sont souvent multiples et variées.
Ainsi, dans le cadre de la COVID-19 et à propos du mode de confinement proposé, il y a bien un consensus scientifique sur l’interprétation des données permettant de juger de son impact sur l’évolution de la progression infectieuse. Par contre, il n’y a aucun consensus sur l’interprétation de ces mêmes données pour le choix de la meilleure stratégie à adopter pour le déconfinement. Rapide, avec un retour hâtif aux écoles, progressif, avec des commerces qui étalent la reprise de leurs activités sur quelques semaines, ou alors retenu et prudent, avec l’attente d’une décroissance clairement démontrée de la courbe de contagion ? L’une ou l’autre de ces options doit être judicieusement soupesée. C’est aux équipes scientifiques spécialisées de le faire et d’en présenter les résultats aux élus et aux décideurs. Ils se feront une opinion sur l’une ou l’autre des options toutes scientifiquement validées et proposeront le plan qui leur semble le plus approprié. À leur tour, les autorités sanitaires devront valider ces plans en fonction des risques de contagion.
Toujours qu’un acte de foi
Une décision de politique publique est le résultat d’une conception sociale de ce qui est bien ou de ce qui est mal
Lorsqu’un premier ministre ou une mairesse font le choix d’une interprétation pour guider leurs décisions, ils expriment leur opinion à l’égard de toutes ces « vérités » qui leur sont présentées. La stricte prévalence statistique utilise les fameuses données probantes validées en double aveugle pour affirmer ce que sont les « vérités ». D’autres interprétations proviennent de modèles mathématiques d’explication ou de prédiction de ce que peuvent être les « vérités » du monde. D’autres encore sont construites par des comités d’experts à partir de connaissances et de méthodes multidisciplinaires. Quelle que soit la posture utilisée pour les faire émerger, toutes ces « vérités » sont scientifiques, valables, et ce sont les opinions à leur propos qui déterminent les décisions.
Derrière les points de presse quotidiens se dessinent ainsi des choix de politiques publiques. Elles sont justifiées par des « vérités » construites sur la base de l’une ou l’autre des nombreuses interprétations possibles de toutes ces données collectées à gauche et à droite. Toute « vérité » est cependant bien subjective et la croyance en une « vérité », de quelque manière que la raison puisse la présenter, n’est toujours qu’un acte de foi. Faire le choix d’une « vérité » ne relève pas de la raison qui la présente, mais bien de la morale, de l’expression contextualisée de ce que nous croyons être bien ou mal.
Les décisions de politique publique sont-elles alors vraiment fondées sur la vérité, la seule, la véritable et l’objective ? Bien sûr que non. Une décision de politique publique est avant tout une opinion, une décision morale, une décision fondée sur des valeurs qui permettent de choisir à quelle interprétation sera accordée notre foi. Une décision de politique publique est le résultat d’une conception sociale de ce qui est bien ou de ce qui est mal. C’est une décision qui s’habille d’un argument de raison aux couleurs de la science, mais une décision qui reste essentiellement morale.
Sur quelle interprétation, sur quel argument de raison, sur quelle « vérité », à quel prix et sur quelle légitimité se fondent alors les décisions de politiques publiques relatives à la COVID-19 ? Sur celles qui privilégient la santé, l’équilibre psychologique des individus, la paix sociale, la sauvegarde de l’économie… ? Les gouvernants, en départageant et en priorisant les savoirs, posent un acte de foi envers une « vérité ». Les gouvernés, par leurs réactions, donnent légitimité aux décisions de politiques publiques. Ainsi s’exerce la gouvernance qui n’est jamais affaire de raison, mais affaire de morale, de rapports entre individus et donc, finalement, affaire de confiance. Une affaire mutuelle d’acte de foi. Alors, obligatoire ou pas, le masque ?