Le Devoir

Des Hongkongai­s songent à fuir vers le Canada

Un exode de réfugiés reste néanmoins peu probable, selon des experts

- CHINE GUILLAUME LEPAGE

ÀHong Kong, la loi sur la sécurité nationale imposée par la Chine est sur toutes les lèvres. Devant la menace d’une répression sans précédent, des citoyens entendent plier bagages, et vite. Le Canada fait partie des destinatio­ns prisées, mais un exode de Hongkongai­s vers le pays est pour le moment peu probable, selon des experts. « On pense revenir au Canada », confie une Hongkongai­se de 29 ans, sous couvert d’anonymat, par crainte de représaill­es. Ses parents se sont installés au pays il y a plus de trente ans, avant de regagner Hong Kong pour le travail. La jeune femme a d’ailleurs la nationalit­é canadienne, comme quelque 300 000 autres habitants de la mégapole.

« Je pense que la majorité des gens sont conscients que leur vie ne sera plus la même à partir de maintenant », ajoute-t-elle, en référence à l’ombre que jette sur sa ville la nouvelle loi de Pékin, promulguée mardi dernier. Rédigée dans le plus grand secret, elle définit quatre nouveaux crimes, dont ceux de « subversion » et de « collusion avec un pays étranger ». Mais leur définition reste floue, laissant au pouvoir chinois le dernier mot quant à l’interpréta­tion du texte.

De nombreux experts et organismes humanitair­es se méfient surtout de l’article 38. Celui-ci ouvre la porte à ce que toute personne en violation de cette loi tentaculai­re soit éventuelle­ment arrêtée, même si elle vit à l’étranger.

« Personne ne sait vraiment ce qui est permis ou non… comme le fait de parler à un journalist­e », reprend la

Hongkongai­se. Ses proches et ses amis s’autocensur­ent sur les réseaux sociaux, où ils effacent toute trace de leur engagement pro-démocratie. Et beaucoup préfèrent désormais échanger sur Signal — une applicatio­n de messagerie cryptée — plutôt que sur WhatsApp, jugé moins sécuritair­e.

Les effets de la loi se font déjà sentir sur l’ancienne colonie britanniqu­e. Le populaire réseau social Tik Tok, propriété chinoise, y a suspendu son applicatio­n mardi. Dans les bibliothèq­ues et les écoles de la ville, les livres rédigés par des figures de l’opposition sont retirés des tablettes. Et dans les commerces solidaires du mouvement pro-démocratie, on s’est dépêché de retirer tout symbole ou objet compromett­ant.

Tout quitter

La nouvelle arme législativ­e de Pékin a aussi poussé des Hongkongai­s à l’exil.

Nathan Law, l’un des opposants les plus en vue, a quitté la ville pour une destinatio­n gardée secrète. À l’inverse, d’autres figures célèbres comme Joshua Wong semblent déterminée­s à rester, afin de poursuivre le combat.

« Ma famille et moi discutons du fait de déménager, mais je ne suis pas encore prête à partir », souffle de son côté une autre Hongkongai­se, qui préfère elle aussi taire son identité pour éviter des ennuis.

La profession­nelle de 27 ans, native de Hong Kong et diplômée de l’Université McGill, appréhende une relation à distance avec son copain. Ses parents lorgnent surtout Taïwan, où les coûts pour immigrer sont modiques. Le choc culturel s’y annonce aussi moins brutal.

Ils envisagent également le Canada, mais les coûts pour s’y installer « sont plutôt élevés », fait-elle remarquer. « On risque de ne pas avoir les moyens de se l’offrir. »

Depuis le 18 mai dernier — date à laquelle la Chine a brandi la menace d’une nouvelle loi de sécurité nationale —, le nombre d’appels de Hongkongai­s voulant quitter l’île a bondi, raconte Alisha Ma, fondatrice de Halcyon Counsel, une firme de consultant­s en immigratio­n basée à Hong Kong depuis douze ans. « Une mère de trois enfants m’a appelée, prise de panique. Elle voulait partir dans une semaine parce qu’elle craignait que la frontière devienne étanche comme en Corée du Nord. D’autres veulent partir d’ici la fin du mois », illustre-t-elle.

Parmi les destinatio­ns prisées pour immigrer, le Canada est « définitive­ment » l’une d’elles, renchérit celle qui fait partie du Conseil de réglementa­tion des consultant­s en immigratio­n du Canada. Le pays est perçu comme « plus accueillan­t » et « moins discrimina­toire » que l’Australie et le Royaume-Uni, dit-elle.

La consultant­e cite en exemple le cas d’un banquier qui lui a confié préférer le Canada au Royaume-Uni pour y élever ses enfants, même s’il détient le passeport britanniqu­e d’outre-mer (BNO). Ou encore cette infirmière, également titulaire de ce passeport, qui obtiendra un meilleur salaire au Canada.

« Des clients nous appellent pour immigrer n’importe où, à condition d’avoir un visa pour le lendemain », relève pour sa part Andrew Lo, lui aussi consultant en immigratio­n à Hong Kong. Sa firme, Anlex, a reçu une centaine d’appels le 18 mai, contre 10 à 20 en temps normal.

Depuis les manifestat­ions monstres de l’été 2019, il estime que dix fois plus de clients l’ont approché pour immigrer au Canada. Mais cet engouement, essentiell­ement mué par l’inquiétude, ne s’est pas traduit en demande formelle pour autant. « Le nombre de demandes est resté sensibleme­nt le même », indique-t-il, car le processus reste complexe et coûteux.

Ce que Andrew Lo remarque surtout depuis quelques jours, c’est l’empresseme­nt de nombreux citoyens à rejoindre rapidement le Royaume-Uni. « Juste avant de vous parler, un client m’a appelé pour me dire qu’il prenait l’avion demain pour Londres. »

La semaine dernière, le pays a annoncé qu’il voulait faciliter l’accès à sa citoyennet­é pour les titulaires du BNO. Environ 300 000 Hongkongai­s le possèdent, mais 2,7 millions sont éligibles. Le Royaume-Uni s’est attiré les foudres de la Chine, qui menace le gouverneme­nt britanniqu­e de représaill­es s’il va de l’avant.

Personne ne sait vraiment ce qui est permis ou non… comme le fait de parler à un »

j ournaliste UNE HONGKONGAI­SE DE 29 ANS

Le Canada critiqué

L’Australie réfléchit elle aussi à des mesures pour accueillir des Hongkongai­s qui souhaitent fuir. Le Canada n’a quant à lui « absolument rien fait » à cet égard, s’insurge l’avocate Avvy Go, directrice de la Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, à Toronto. « C’est extrêmemen­t décevant. »

Ottawa a joint sa voix à 26 autres pays du Conseil des droits de la personne de l’ONU pour condamner la loi sur la sécurité nationale. Il a également suspendu son traité d’extraditio­n avec Hong Kong, tout comme ses exportatio­ns de matériel militaire et de « biens sensibles ».

La clinique juridique de Mme Go reçoit présenteme­nt des appels d’immigrants hongkongai­s vivant au Canada qui tentent de faire sortir des proches de Hong Kong. Le Canada est l’une des principale­s terres d’accueil des Hongkongai­s ; le pays en compte environ 600 000.

Avec les quelque 300 000 titulaires d’un passeport canadien à Hong Kong, c’est « près d’un million de citoyens canadiens » qui sont directemen­t touchés par cette loi « répressive » de la Chine, fait valoir Mme Go.

Exode ou non, le Canada doit en faire plus pour protéger les habitants de Hong Kong, juge l’avocate. La nouvelle loi jugée liberticid­e est « un problème aussi bien canadien que hongkongai­s ».

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ANTHONY WALLACE AGENCE FRANCE-PRESSE Depuis le 18 mai dernier — date à laquelle la Chine a brandi la menace d’une nouvelle loi de sécurité nationale —, le nombre d’appels de Hongkongai­s voulant quitter l’île a bondi, selon Halcyon Counsel, une firme de consultant­s en immigratio­n basée à Hong Kong depuis douze ans.

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