Le déficit du Canada atteint des proportions jamais vues : 343 milliards
La mise à jour économique confirme que le gouvernement a dépensé plus d’argent que ce qu’avaient évalué les experts
Le gouvernement de Justin Trudeau a consacré pas moins de 212 milliards de dollars en mesures d’aide directe pour aider les Canadiens et les entreprises du pays à affronter la pandémie. Résultat : le déficit de l’année en cours atteindra un montant record de 343 milliards.
La mise à jour économique présentée mercredi par le ministre des Finances Bill Morneau est venue confirmer que le gouvernement a dépensé encore plus d’argent que ce qu’avaient évalué les experts.
Sans surprise, ce sont la Prestation canadienne d’urgence (PCU) — 73,1 milliards de dollars — et la subvention salariale — 82,3 milliards — qui ont coûté le plus cher au trésor fédéral. Ces deux mesures de soutien coûteront 155,4 milliards cette année, sur les 181,1 milliards que versera Ottawa en soutien aux particuliers. Le gouvernement argue qu’elles ont permis d’atténuer les conséquences de la crise économique, qui a fait que 5,5 millions de Canadiens — ou environ 30 % de la population active du pays — ont perdu leur emploi ce printemps ou vu leurs heures de travail réduites.
S’ajoutent notamment aux coûts de ces deux programmes les sommes octroyées en soutien aux entreprises — 21,3 milliards — de mêmes que celles qui ont été dépensées en santé. Le gouvernement a en outre renoncé à 85 milliards de dollars en reportant des versements de taxe, d’impôt et de droits de douane. Et le fédéral a rendu disponibles 86,5 milliards en liquidité par le biais d’un programme de crédit aux entreprises et en soutien au crédit pour le secteur agricole. Le ministère des Finances chiffre ainsi son intervention économique à plus de 400 milliards de dollars.
« Nous avons fait le choix délibéré, tout au long de cette pandémie, d’aider les Canadiens », a défendu Justin Trudeau, dont le gouvernement a investi l’équivalent de 14 % du PIB du pays. « Nous nous sommes endettés pour que les Canadiens n’aient pas besoin de le faire. » Le ministère des Finances estime que, sans cette injonction du fédéral, le produit intérieur brut aurait pu reculer de plus de 10 % cette année et le taux de chômage augmenter de deux points de pourcentage de plus.
Déficit record
Les investissements d’Ottawa ont toutefois donné lieu au plus gros déficit de l’histoire. Le ministère des Finances n’avait pas offert de mise à jour économique depuis décembre dernier, puisque le dépôt du budget prévu au début de la crise le 30 mars a été annulé. La dernière projection du gouvernement prédisait donc un déficit de 28,1 milliards de dollars pour l’année 2020-2021.
Le gouvernement affichera plutôt un déficit de 343,2 milliards cette même année. Le ministère des Finances estime que l’évolution de la situation économique depuis décembre a à elle seule fait reculer de 81,3 milliards le solde budgétaire du Canada, ce qui aurait chiffré le déficit à 106,4 milliards avant même qu’Ottawa n’investisse pour affronter la crise.
Le déficit fédéral atteindra ainsi 15,9 % du PIB cette année. La dette atteindra elle aussi un record d’ici mars prochain, à 1200 milliards de dollars contre 765 milliards un an plus tôt, ce qui équivaudra à 49 % du PIB. Mais les taux d’intérêt qui sont à leur plus bas rendent cette dette abordable, insiste le gouvernement, ce qui fait que l’État économisera en fait 4 milliards en frais de la dette par rapport aux prévisions de cet hiver.
Le gouvernement ne s’est pas aventuré à faire des projections pour les prochaines années. « La nature dynamique du défi auquel nous sommes confrontés fait en sorte qu’on ne peut pas faire d’hypothèses quant à un avenir dont on ne connaît pas la nature aujourd’hui », a fait valoir le ministre Morneau en conférence de presse.
Il s’est cependant engagé à présenter un budget ou une nouvelle mise à jour économique cet automne, lorsque le gouvernement disposera de « plus d’informations » sur l’état de l’économie.
La subvention salariale élargie
D’ici là, M. Morneau a promis de dévoiler bientôt de nouvelles modalités pour le programme de subvention salariale. Justin Trudeau a annoncé en juin qu’il serait prolongé de trois mois, au-delà des trois premiers mois prévus. Ottawa souhaite que davantage d’entreprises s’en prévalent pour financer le salaire de leurs employés grâce aux fonds du fédéral — qui subventionne jusqu’à 75 % des salaires des travailleurs —, afin d’encourager un retour au travail et conséquemment l’abandon de la PCU.
« Nous devons réduire les désincitatifs à la croissance économique », a reconnu le ministre, sans toutefois préciser ce qu’il envisage quant au sort de la PCU qui doit prendre fin à la fin août.
Un demi-million d’entreprises ont eu recours à la subvention salariale jusqu’à présent, ce qui représente des versements de 18 milliards de dollars qui permettent de rémunérer un employé sur quatre du secteur privé. Ottawa prévoit d’en aider davantage et de dépenser 82 milliards au total, en vertu des nouvelles règles qui seront révélées d’ici peu. La PCU a quant à elle aidé 8 millions de Canadiens jusqu’à présent.
M. Morneau a par ailleurs assuré que le plan de retour à l’équilibre budgétaire d’Ottawa, qui reste à venir, ne passera pas par des hausses de taxes ou d’impôts, car il s’agirait là « précisément de la mauvaise réponse », a-t-il insisté.
Le portrait de la situation économique présenté par le ministre n’a pas satisfait les partis d’opposition, qui auraient souhaité y retrouver aussi le plan du gouvernement minoritaire de Justin Trudeau pour favoriser la relance au cours des prochains mois.
« Nous nous attendions à ce que le ministre des Finances nous présente un plan pour relancer l’économie. Mais il s’est plutôt vanté d’avoir le plan le plus dispendieux du G7 », a scandé le conservateur Pierre Poilievre.
« On est au début de quelque chose comme une reprise économique. C’est le temps d’adapter les programmes », a déploré à son tour le bloquiste Gabriel Ste-Marie.
Le Parti conservateur et le Bloc québécois réclamaient qu’Ottawa ajuste la PCU pour encourager les Canadiens à retourner travailler. Les prestataires de la PCU ne peuvent actuellement que gagner 1000 $ de revenus par mois, car au-delà de ce seuil ils perdent entièrement leur prestation. Les conservateurs et les bloquistes proposent de leur permettre de conserver 0,50 $ de prestation fédérale pour chaque dollar gagné, ce qui permettrait à un travailleur de toucher jusqu’à 5000 $ par mois avant de perdre entièrement la PCU.
La Fédération des chambres de commerce du Québec et le Conseil du patronat du Québec (CPQ) ont également réclamé des ajustements aux programmes existants : la fin du désincitatif au travail de la PCU ; un accès facilité à la subvention salariale ; et une aide sectorielle ciblée pour le secteur du tourisme et du transport aérien régional.
Le CPQ et la Chambre de commerce du Canada auraient aussi préféré voir un plan de match du gouvernement pour la suite. « Il est maintenant temps pour le Canada de passer d’une réponse à la crise basée sur les subventions à une relance de la croissance économique et au retour des Canadiens sur le marché du travail », a fait valoir le président de la Chambre de commerce du Canada, Perrin Beatty. « Avec une marge financière considérablement réduite et moins d’outils financiers à notre disposition, nous devons nous concentrer sur les facteurs économiques fondamentaux. »
Dans le camp inverse, le Nouveau Parti démocratique souhaite plutôt qu’Ottawa s’attaque aux paradis fiscaux et taxe les plus riches afin de prolonger ou d’élargir l’accès à certains programmes comme la subvention salariale. Le chef néodémocrate,
Nous nous sommes endettés »
pour que les Canadiens n’aient pas besoin de le faire JUSTIN TRUDEAU
Jagmeet Singh, a reconnu que « le déficit est énorme », mais imploré le gouvernement de ne pas s’en prendre aux familles pour l’éponger.
La cheffe sortante du Parti vert, Elizabeth May, a elle aussi reconnu l’ampleur historique du déficit, mais s’est à son tour portée à la défense d’une prolongation des dépenses fédérales. « Avec une pandémie, ces dépenses étaient nécessaires. Autrement, notre économie aurait été encore plus affaiblie », a-t-elle répété, après s’être inquiétée qu’un virage vers l’austérité plongerait le pays « en grande dépression ».