Le Devoir

Nouveau code de conduite pour les policiers

- JEANNE CORRIVEAU

À compter de l’automne, les policiers montréalai­s devront baser leurs interpella­tions sur des « faits observable­s » et non sur des impression­s susceptibl­es de conduire à la discrimina­tion raciale. La nouvelle politique sur les interpella­tions policières dévoilée mercredi par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ne va pas assez loin et risque de maintenir le statu quo, estiment toutefois des groupes de défense des droits de minorités.

À l’automne dernier, un rapport de chercheurs indépendan­ts avait conclu à l’existence de « biais systémique­s » chez les policiers. Il révélait notamment que les Autochtone­s et les Noirs étaient quatre ou cinq fois plus susceptibl­es d’être interpellé­s par la police que les Blancs à Montréal.

Le directeur du SPVM, Sylvain Caron, s’était engagé à élaborer des règles claires pour encadrer les interpella­tions policières. Cette politique introduit de nouvelles règles pour lutter contre le profilage, qu’il soit racial, social ou religieux.

Auparavant, les policiers n’étaient pas tenus de dire aux personnes à qui ils demandaien­t de décliner leur identité les motifs de l’interpella­tion, bien que cette pratique était recommandé­e. Désormais, ils auront l’obligation de le faire.

Le SPVM va également ajouter des éléments sur la fiche d’interpella­tion informatis­ée qu’ils doivent remplir.

Outre les informatio­ns nominative­s — si elles ont été fournies — et l’identité ethnocultu­relle « perçue ou observée » de la personne interpellé­e, ils devront indiquer la raison de l’interpella­tion, les « faits observable­s » ayant mené à celle-ci et son contexte, ce qui n’était pas requis selon les règles actuelles.

« Clairement, il y a des incidents de discrimina­tion qui sont survenus dans le passé. On n’en veut pas, de profilage. On veut le respect des gens sans discrimina­tion et sans racisme. C’est le message qui est passé dans l’organisati­on », a déclaré Sylvain Caron.

Pour l’instant, la politique ne prévoit pas de sanctions en cas de non-r espect des règles, bien que les recours soient possibles devant le Commissair­e en déontologi­e policière. Le SPVM mettra en place diverses mesures, comme une équipe de « coachs en interpella­tions policières ».

Et plutôt que de parler de sanctions disciplina­ires, M. Caron avance le principe de « prise en charge » des policiers fautifs pour déterminer s’il s’agit de comporteme­nts intentionn­els ou non.

Afin d’éviter les interpella­tions abusives ou discrimina­toires, la politique interdit aussi le recours à des « motifs obliques ». « On ne veut pas que les policiers utilisent un règlement municipal ou provincial pour tenter d’identifier une personne », a précisé M. Caron.

La politique ne s’appliquera pas aux interpella­tions d’individus qui sont sur la route, car le Code de sécurité routière est de compétence provincial­e, a fait valoir le chef de police.

Si on ne tient pas compte des données contre les conducteur­s, on manque à peu près 80 % de la réalité sur le terrain. Je trouve ça très dommage. On manque le bateau.

»

ALAIN BARIBEAU

Un conseiller stratégiqu­e

Le SPVM souhaite aussi évaluer l’efficacité de sa politique. À cet effet, il a donné un second mandat aux chercheurs indépendan­ts, qui devront, en 2021, présenter une analyse des données collectées par les policiers. En parallèle, le SPVM a sollicité le sociologue Frédéric Boisrond comme conseiller stratégiqu­e indépendan­t.

Le directeur du SPVM reconnaît que l’applicatio­n de la politique nécessiter­a un changement de culture au sein de ses troupes. Cette politique devrait entrer en vigueur à l’automne et fera l’objet d’une consultati­on publique le 1er septembre prochain. Sylvain Caron soutient que des modificati­ons pourraient y être apportées au fil du temps .

Critiques

Alain Baribeau, conseiller au Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), doute que la politique permettra d’éradiquer le profilage racial, notamment parce qu’elle exclut les interpella­tions parfois arbitraire­s concernant les automobili­stes. « Si on ne tient pas compte des données contre les conducteur­s, on manque à peu près 80 % de la réalité sur le terrain. Je trouve ça très dommage. On manque le bateau », dit-il.

La Ligue des droits et libertés estime que la nouvelle politique comporte beaucoup d’éléments flous, comme la définition du terme « faits observable­s », une notion jugée trop ambiguë. Sans compter qu’elle ne prévoit pas de conséquenc­es pour les policiers qui feraient des interpella­tions discrimina­toires et sans fondements.

Pour sa part, l’opposition à l’Hôtel de Ville comprend mal que le SPVM n’ait pas retenu des éléments importants des politiques d’interpella­tion en vigueur ailleurs au pays. En Ontario, par exemple, les policiers sont tenus d’informer les citoyens qu’ils ont le droit de refuser de donner leur identité. Les policiers leur remettent aussi une fiche contenant leur nom, leur numéro de matricule et des renseignem­ents sur le traitement des plaintes. Des sanctions disciplina­ires sont aussi prévues pour les policiers qui enfreignen­t les règles. « La politique n’est pas contraigna­nte et elle manque de balises claires qui laissent beaucoup de place au pouvoir discrétion­naire des policiers », estime le conseiller d’Ensemble Montréal Abdelhaq Sari.

À ce sujet, Sylvain Caron rétorque que les nouvelles règles ont entraîné une importante baisse des interpella­tions à Toronto, c’est pourquoi le SPVM n’a pas choisi cette voie.

Dans un bref communiqué, la Fraternité des policiers de Montréal a dit prendre acte de la politique d’interpella­tion et qu’elle en appuyait l’objectif.

La responsabl­e de la sécurité publique au sein de l’administra­tion Plante, Rosannie Filato, convient que la politique devra évoluer et que d’autres mesures devront être mises en place pour lutter contre le profilage racial, notamment en matière d’embauche.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Le directeur du SPVM, Sylvain Caron, a donné la réponse de son organisati­on à ceux qui l’appelaient à agir pour contrer le profilage racial au sein de la police. Mais les nouvelles consignes données aux policiers ne suffiront pas à mettre un terme aux interpella­tions injustifié­es, selon certains.

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