Le SPVM passe enfin à l’action
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a finalement dévoilé sa politique d’interpellation. Dès l’automne, les policiers montréalais devront baser leurs interpellations sur des « faits observables », et non sur des impressions inopportunes, des idées préconçues ou des préjugés qui forment la base empoisonnée du profilage racial. Voilà l’étendue du désarroi au sein de la deuxième organisation policière en importance au Québec (après la SQ). Il lui faut une politique d’interpellation pour s’assurer que ses agents accompliront leur travail sans succomber à la discrimination raciale. Le traitement équitable des citoyens, sans égard à la couleur de leur peau, à leur appartenance à un groupe identifiable ou à leur condition sociale, devrait être la norme dans les interventions. D’une commission d’enquête à une autre, d’un rapport accablant à un autre, nous savons que ce n’est jamais tout à fait le cas.
On ne traite plus ouvertement les Noirs de ceci ou de cela sur les ondes policières, comme à l’époque où Marcellus François a été abattu par la police de Montréal à la suite d’une erreur sur la personne, en 1991. On ne fait plus cette sinistre distinction entre le profilage « licite » et « illicite » pour banaliser le profilage racial, comme à l’époque de la mort de Freddy Villanueva, en 2008. Il n’en demeure pas moins qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Encore récemment, c’est à l’arraché que le directeur du SPVM, Sylvain Caron, a reconnu le problème du racisme et de la discrimination systémiques après moult tergiversations pour protéger l’ego meurtri de ses policiers.
M. Caron n’est pas parfait, mais il est le premier directeur du SPVM, depuis Marc Parent, à tenter de s’attaquer à ce problème complexe. Il fallait un certain courage pour confier à un groupe de chercheurs indépendants le mandat d’analyser les pratiques d’interpellation au sein du SPVM comme il l’a fait l’automne dernier.
Le rapport accablant des chercheurs exigeait une action ferme et sans équivoque. Qu’il suffise de rappeler qu’à Montréal, les personnes d’origine arabe, les Autochtones et les Noirs courent respectivement deux fois, quatre fois et cinq fois plus de risques d’être interpellés par la police que les Blancs. Et, non, ce n’est pas en raison d’un prétendu surplus d’activités criminelles de la part de ces groupes racisés. Au prorata de leur contribution collective à la criminalité, les personnes noires et d’origine arabe sont nettement plus interpellées qu’elles ne devraient l’être.
En résumé, les moeurs et pratiques au sein du SPVM ont évolué, mais jamais aussi rapidement que la transformation du tissu social et démographique de la métropole. Devant l’ampleur et la persistance du problème, et pour contrer la force d’inertie à l’interne, le SPVM a donc besoin de cette politique d’interpellation. Autrement, les policiers se replieront sur leur position défensive en répétant qu’ils ne sont pas racistes et qu’ils condamnent le racisme.
L’aspect le plus intéressant de la politique réside dans l’obligation de consigner des informations nominatives sur les interpellations, dont le motif du contrôle, les faits observables et l’identité ethnoculturelle « perçue ou observée » de la personne interpellée. Ces renseignements seront fort utiles pour cerner l’ampleur du profilage racial et son occurrence en fonction des groupes identifiables et des zones géographiques. D’autant plus utiles qu’ils seront transmis au groupe de recherche qui a produit le premier rapport sur les pratiques d’interpellation. Le renouvellement du mandat du groupe de recherche offre des garanties de transparence et de rigueur dans le suivi des actions du SPVM. La contribution de chercheurs indépendants est tout aussi importante que la politique d’interpellation pour en arriver au « changement de culture » espéré par le chef Caron.
En principe, cette politique agira comme un frein aux contrôles de routine, sans motifs valables, pour délit de faciès. En réalité, ce ne sera pas aussi simple. Il faudra déterminer la part des interventions fondées sur la discrimination raciale provenant d’appels injustifiés au 911. Ce phénomène, pour le moment difficile à quantifier, forcerait les policiers à intervenir en fonction des biais systématiques des citoyens.
Plus important encore, il faudra que les policiers appliquent avec rigueur et conviction cette politique d’interpellation. Au préalable, ils devront comprendre qu’on ne cherche pas à leur faire « un procès en racisme », mais à se doter des instruments et politiques favorisant l’équité de traitement pour tous par les forces de l’ordre. Il s’agit du fondement du lien de confiance entre la police et la population montréalaise. La légitimité de l’intervention policière ne sera jamais plus grande que la solidité de ce lien de confiance. L’ère du déni est révolue. L’heure est venue de rebâtir ce lien de confiance durement éprouvé.