Le Devoir

Le processus d’Oslo, une façade pour préparer l’annexion

- CISJORDANI­E Rachad Antonius Professeur titulaire, Départemen­t de sociologie, Université du Québec à Montréal

De nombreux analystes et diplomates se sont élevés contre le plan israélien d’annexion d’une grande partie de la Cisjordani­e et ont demandé à Israël d’abandonner ce plan et de revenir au processus dit « de paix » amorcé à Oslo.

Or, le processus de négociatio­n entamé à Oslo en 1993 n’a été qu’une façade. Tout en négociant pour gagner du temps, Israël créait des faits accomplis sur le terrain, en préparatio­n de l’annexion d’une grande partie de la Cisjordani­e.

Le processus diplomatiq­ue d’Oslo avait été accueilli avec enthousias­me par la communauté internatio­nale ainsi que par une partie du leadership palestinie­n. Même limitée et asymétriqu­e, tout le monde espérait que cette reconnaiss­ance ouvrirait une nouvelle ère de paix. À Montréal, à New York et ailleurs, une pièce de théâtre avait même été montée pour faire l’éloge du processus d’Oslo et pour souligner le courage moral de ses artisans.

Mais le processus diplomatiq­ue d’Oslo s’est avéré être un leurre, une fraude politique et morale. Ceux qui l’ont célébré ont contribué à légitimer cette fraude, tout en croyant qu’ils appuyaient un effort de paix louable. Voici pourquoi.

Tout d’abord, la reconnaiss­ance entre Israël et les Palestinie­ns n’était pas mutuelle dans les accords d’Oslo. Ces accords stipulent clairement que les Palestinie­ns reconnaiss­ent Israël en tant qu’État juif, mais le terme « État palestinie­n » est absent dans le texte des accords ainsi que dans les lettres et autres documents préparatoi­res. Il n’était pas dit non plus que la colonisati­on devait cesser ou que les colonies devaient être démantelée­s. Les Palestinie­ns reconnaiss­aient donc la légitimité d’Israël (et donc leur propre dépossessi­on) comme prémisse aux accords d’Oslo, mais la reconnaiss­ance de la légitimité d’un État palestinie­n éventuel par Israël ne devait venir qu’au bout du processus, après que les Palestinie­ns auraient accepté toutes les autres conditions qui leur étaient imposées. Le flou sur ces questions était justifié par l’idée qu’il fallait rétablir la confiance mutuelle avant d’aborder les questions de fond.

Un leurre

De fait, dès le début des négociatio­ns, Israël relançait la constructi­on de logements réservés exclusivem­ent à des colons juifs dans les territoire­s occupés et entreprena­it la constructi­on d’un vaste réseau de voies rapides reliant les colonies de Cisjordani­e au territoire israélien en contournan­t les agglomérat­ions palestinie­nnes. En même temps, certains quartiers arabes de Jérusalem-Est (la partie arabe de Jérusalem, conquise militairem­ent en 1967) étaient détruits et un programme agressif de « judaïsatio­n » de Jérusalem était lancé. Tout ceci a été amplement documenté par l’organisme israélien B’Tselem et par d’autres.

Les résultats de cette politique ont rapidement été visibles : entre 1993 et 2000, sous l’égide de ce supposé « processus de paix », le nombre de colons en Cisjordani­e avait déjà été doublé, passant de 250 000 à près de 500 000. À la fin de l’année 2017, le nombre de colons est de l’ordre de 620 000. Ils sont répartis dans 131 colonies officielle­s, 110 colonies non officielle­s (outposts) qui reçoivent tout de même un appui du gouverneme­nt israélien, ainsi que dans la partie occupée de Jérusalem.

Autre signe de l’annexion à venir : le tracé du « mur » ou « barrière de sécurité ». Ce mur ne suit pas la « ligne verte » qui sépare Israël de la Cisjordani­e, mais pénètre dans le territoire palestinie­n, empêchant agriculteu­rs et commerçant­s de fonctionne­r normalemen­t sur leurs propriétés, dont une partie se trouve désormais à l’ouest du mur.

Le mécanisme qui a permis cela, c’est la division de la Cisjordani­e en trois zones, A, B et C, en vertu des accords de 1995 (Oslo II). Les zones A et B n’incluent que des Palestinie­ns. Dans la zone A, ils ont l’équivalent de pouvoirs municipaux, dont celui de policer les habitants et de les surveiller en collaborat­ion avec la puissance occupante. Dans la zone B, ce pouvoir est partagé avec la puissance occupante, Israël. Dans la zone C, territoire palestinie­n occupé représenta­nt près de 62 % de la Cisjordani­e, c’est Israël qui a le contrôle total et c’est là que se déroule l’activité intense de colonisati­on.

Les 460 points de contrôle (environ) et les voies de contournem­ent établies en vertu des accords d’Oslo avaient divisé le minuscule territoire de la Cisjordani­e en 64 morceaux séparés par les contrôles israéliens. Cela rendait le passage des Palestinie­ns d’une section à l’autre pénible, humiliant et très lent. Une des conséquenc­es de cet état de fait a été de mettre fin au rôle de Jérusalem comme centre de l’économie palestinie­nne. De telle sorte que, sous le régime des accords dits « de paix », la situation économique et politique des Palestinie­ns était bien pire que ce qu’elle était avant la paix. […]

Ce n’est certaineme­nt pas à Oslo qu’il faut revenir. C’est plutôt à une politique de sanctions sévères pour forcer Israël à se conformer au droit internatio­nal. Mais ce n’est pas cela qui se dessine. À un moment historique de remise en question des effets de la colonisati­on et de l’esclavage, le gouverneme­nt canadien et la plupart des puissances de l’OTAN continuent à appuyer une politique coloniale d’apartheid héritée du XIXe siècle.

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