Le Devoir

Projets en péril pour des étudiants et des travailleu­rs étrangers

Des immigrants risquent de devoir tirer un trait sur leurs études et leur emploi, la collecte de données biométriqu­es nécessaire à l’obtention de leur permis n’ayant toujours pas repris dans les bureaux de Service Canada

- ANNABELLE CAILLOU

Les travailleu­rs et étudiants étrangers en processus d’immigratio­n au Québec ne sont pas au bout de leurs peines. Si les bureaux de Service Canada commencent finalement à rouvrir progressiv­ement depuis mercredi, la collecte de données biométriqu­es, nécessaire pour obtenir leur visa, n’a toujours pas repris. Bloqués dans leurs démarches, certains risquent de devoir tirer un trait sur leurs études cet automne, d’autres craignent de perdre leur emploi.

« Cela fait trois ans que je prépare mon retour aux études. De l’autre côté de l’Atlantique, je regardais avec envie le programme en constructi­on textile du cégep du Vieux Montréal. J’ai finalement été acceptée pour la rentrée prochaine, mais ce rêve de changement de carrière risque d’être anéanti », déplore Agathe Dessaux, désemparée par la situation.

Cette Française de 34 ans a décidé il y a un an de laisser tomber le milieu du théâtre où elle oeuvrait pour s’établir au Québec et entreprend­re un changement de carrière. Elle a d’abord mis les pieds dans la province grâce à un permis vacances travail, souhaitant prendre le temps de s’installer dans sa nouvelle ville, Montréal, se renseigner davantage sur la formation tant convoitée, et surtout faire des économies pour pouvoir se la payer.

Une fois acceptée dans son programme en janvier 2019, elle a lancé les démarches pour obtenir du gouverneme­nt provincial un Certificat d’acceptatio­n du Québec (CAQ) et ensuite son permis d’étude, auprès du gouverneme­nt fédéral. La pandémie de COVID-19 a toutefois contrarié ses plans. « J’ai reçu mon CAQ un mois et demi en retard et depuis que j’ai transmis ma demande de permis d’étude au fédéral le 15 mai, c’est l’enfer de l’attente et de l’incertitud­e, s’insurge-t-elle. Ma demande est paralysée parce que je suis incapable de fournir mes données biométriqu­es, indispensa­bles à ma demande ».

Car si les bureaux de Service Canada ont commencé à rouvrir progressiv­ement mercredi — après quatre mois de fermeture en raison de la pandémie — seules les requêtes concernant numéros d’assurance sociale, assurance-emploi et pension de retraite seront traitées. Les demandes non urgentes de passeport et la collecte de données biométriqu­es — prise de photo et des empreintes digitales — reprendron­t plus tard. Le gouverneme­nt n’a toutefois avancé aucune date pour le moment.

« Si je n’ai pas mon permis d’étude avant le 31 août, je n’aurai pas le droit de commencer ma formation. Sans ça, mon rêve s’effondre », s’inquiète Agathe Dessaux, précisant qu’attendre une année de plus n’est pas envisageab­le puisqu’elle ne sera pas autorisée à travailler avec un permis d’étude en poche.

Une situation inconforta­ble dans laquelle se retrouvent de nombreux étudiants étrangers déjà sur le sol canadien à qui Le Devoir a parlé. Tous envisagent de retarder leurs études postsecond­aires, voire remettent en question leur avenir au Québec.

Permis de travail

Ceux qui sont en attente d’un permis de travail ou d’une résidence permanente vivent un problème similaire. Certains craignent même de perdre leur emploi. C’est le cas d’Anna, aussi d’origine française, qui a carrément décidé de retourner quelques jours dans son pays natal la semaine prochaine pour obtenir ses données biométriqu­es et faire avancer son dossier d’immigratio­n.

« Les billets sont achetés. J’ai rendez-vous à Lyon le 16 juillet où les bureaux ont rouvert depuis début juin, indique-t-elle. C’est aberrant d’en arriver là, mais sans données biométriqu­es, je ne peux compléter mon dossier. Et si je n’ai pas mon nouveau permis de travail bientôt, c’est mon emploi qui est en jeu. »

Le temps est compté, dit-elle. Au mois d’août, elle doit se rendre en Irlande pour un voyage d’affaires. Or, si son permis de travail n’est pas renouvelé avant l’expiration de son permis actuel — le 16 août —, il lui sera impossible de partir. « À l’expiration de mon permis, je tombe en statut implicite, ce qui veut dire que je pourrai continuer à résider et travailler au Canada jusqu’à ce qu’une décision soit prise, mais si je sors du pays, il me sera difficile d’y rentrer à nouveau. » Et si elle manque ce voyage d’affaires, elle craint une mise à pied.

« Je ne comprends pas, renchérit Fanny Bachevalie­r. Les restaurant­s, les bars, les cinémas sont ouverts, mais quand on veut simplement obtenir nos données biométriqu­es pour notre permis, c’est impossible. Ça aurait dû être un service essentiel depuis le début de la pandémie ». Les demandes de permis de travail et de résidence permanente de la jeune femme de 25 ans sont aussi sur pause, faute de données biométriqu­es.

Elle redoute également de tomber en statut implicite à la fin de son permis actuel, en août. Atteinte d’une maladie chronique et ne pouvant bénéficier de la RAMQ avec son présent permis vacances travail, elle ne pourra faire le voyage en France pour consulter un médecin et devra débourser une somme bien plus importante qu’un billet d’avion en consultant au Québec en cas de problème.

Des pistes de solution

« Au moins, beaucoup de personnes en attente peuvent bénéficier d’un statut implicite et continuer d’étudier ou de travailler au pays », tient à souligner Me Guillaume Cliche-Rivard, président de l’Associatio­n québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigratio­n (AQAADI). Il reconnaît par contre que la situation se corse pour ceux qui souhaitent changer de permis, et non simplement le renouveler, ainsi que ceux qui sont présenteme­nt à l’extérieur du pays.

À son avis, le ministère de l’Immigratio­n, des Réfugiés et de la Citoyennet­é (IRCC) ne devrait imposer un critère obligatoir­e pour compléter un dossier d’immigratio­n, sans permettre aux demandeurs de satisfaire ce critère en question. Autrement dit, si le gouverneme­nt ne peut garantir un service de collecte de données biométriqu­es, il devrait trouver une solution, selon l’avocat.

« Dans une telle situation, pourquoi ne pas changer temporaire­ment les règles et que les données biométriqu­es deviennent une condition au maintien d’un permis, à fournir dans les 30 à 90 jours après l’obtention de ce dernier ? », propose-t-il.

Au moment où ces lignes étaient écrites, ni Service Canada, ni IRCC n’avaient répondu aux questions du Devoir quant à savoir quand la collecte de données biométriqu­es reprendrai­t au Canada et si des solutions sont envisagées pour remédier à cette absence de service.

Si je n’ai pas mon permis d’étude avant le 31 août, je n’aurai pas le droit de commencer ma formation. Sans ça, mon rêve s’effondre.

AGATHE DESSAUX

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Agathe Dessaux, 34 ans, a décidé il y a un an de laisser tomber le milieu du théâtre où elle oeuvrait pour s’établir au Québec et entreprend­re un changement de carrière. Son projet est néanmoins menacé par la pandémie.
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR CORONAVIRU­S Agathe Dessaux, 34 ans, a décidé il y a un an de laisser tomber le milieu du théâtre où elle oeuvrait pour s’établir au Québec et entreprend­re un changement de carrière. Son projet est néanmoins menacé par la pandémie.

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